Autoroute Tana-Ivato : ne pas confondre vitesse et précipitation.

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Un formidable projet lancé à grand coup de RP (opération de Relation de Presse) par le tout nouveau Ministre des Travaux Publiques, et néanmoins chantre de la Transition, Roland Ratsiraka. Tout projet qui vise haut, fort et vite pour faire évoluer Madagascar sur la voix de l’émergence (mot désormais à la mode) est toujours une bonne chose à prendre. Mais cela doit-il compromettre un temps de réflexion sur l’autel du « je-veux-tout-tout-de-suite » ?

Le quinquennat unique : une Trottinette à Grand Vitesse.



Le mandat unique de 5 ans pour le président, est une des grandes révolutions de la nouvelle constitution. À l’origine, la volonté ferme d’en arrêter avec des présidents « à vie » qui, à l’Africaine ou comme un bon vieux dictateur en herbe, ne veulent plus quitter le pouvoir. Une très bonne idée à la base encore une fois, mais peut être, à l’image du sujet du jour, prise un peu trop sous le coup de l’affect et l’impulsion d’une volonté personnelle. Hors, la maîtrise du pouvoir et de l’action politique exige une réflexion de fond ainsi que des projections, pour en mesurer les conséquences sur le long terme.

Un président élu pour un mandat unique de 5 ans, est déjà un homme à la retraite. Pour quelle raison voudriez-vous qu’ils produisent un quelconque effort durant son quinquennat puisqu’il n’aura pas à rendre compte de son action, étant dans l’impossibilité de se représenter ? Pour le président, c’est mort comme on dit. Loin de nous l’idée de mettre en cause notre président tout neuf qui semble animé de la meilleure des volontés.

Pour les ministres à ambition présidentielle, il y a un risque de déchaînement sous perfusion d’une idée simple : démontrer qu’ils sont les meilleurs pour prendre le pouvoir. Faire leurs preuves. D’où peut être, une nouvelle obsession : la stratégie du « regardez-comme-je-fais-des-choses », une variante du m’a-tu-vu qui a fait de brillants adeptes dans les rangs des ministres français. Sarkozy et plus récemment Valls en sont les icônes du genre. Le but : occuper l’espace médiatique à coup d’annonces pour marquer l’opinion publique.

Ressortir le vieux projet de cette autoroute Tana-Ivato n’est-elle pas le premier volet d’une tentative d’occuper les médias à grands coups de sensationnel ? La politique du communiquant par opposition à celle du visionnaire.

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Une autoroute, ça coûte cher et c’est payant.


Des autoroutes, on en rêve à Madagascar. Ces projets font partie des éternels serpents de mer du pays. Tout dirigeant se doit d’en avoir en projet. Mais à ce jour, personne n’a pu en réaliser une seule. Et pour cause.

En France, donc aux normes européennes comme annoncées, une autoroute classique coûte en moyenne 6 millions d’Euros le kilomètre. En montagne, le coût monte jusqu’à 42 millions d’Euros le kilomètre. La raison en est simple : les infrastructures importantes à réaliser (ponts…). Hors, le ministre nous présente un projet « en partie suspendu » pour citer Midi Madagascar. Quel est le prix d’une telle infrastructure à Tana ? Un très grossier calcul rapide sur Google Map, de la route des Papes à l’aéroport d’Ivato, donne une distance d’environ 8,4 kilomètres en ligne droite. Au bas mot, le prix de cette autoroute serait autour de 50 Millions d’Euros, plus de 160 Milliards d’Ariary.

Une autoroute est si couteuse à construire qu’on estime qu’un quart des recettes des péages servent à rembourser les intérêts de l’emprunt ! Et ceci, sur la base des tarifs européens.

Si l’on se fit aux tarifs pratiquer en France, le prix à payer pour un usager devrait être entre 0,50 centime d’Euro à 4 Euros pour faire Tana-Ivato. Soit 7200 Ariary en moyenne l’aller.

Tana-Ivato : la bienveillance chinoise.


Selon Mr le Ministre Roland Ratsiraka, le projet serait fortement soutenu par la Chine, via son ambassadeur SEM Yang Min. On peut donc logiquement en penser qu’elle serait en grande partie financer par les Chinois. Aucun pays ou financier n’est philanthrope. Quelle en serait donc la contre-partie ? Il serait intéressant qu’on nous en dise un peu plus là-dessus. Le propos n’est pas de critiquer l’apport de la Chine, ni de crier à une invasion mettant en péril la souveraineté nationale sous prétexte de chinafrique. Soyons constructif. Si la Chine, ou tout autre pays, peut nous aider, notre premier devoir est de l’en remercier, pas de le mettre en accusation… Et de rembourser nos obligations. Mais, tout de même, 50 millions d’Euros, c’est une somme. Qu’est-ce que cela va vraiment nous coûter ensuite ?

Quel est l’intérêt réel de la Chine dans cette autoroute intra-urbaine. Et oui, de Tana à Ivato, il reste bien peu de verdure. La construction de cette quatre voies finira rapidement d’urbaniser les dernières rizières qui séparent la capitale de l’aéroport. Il va donc être un peu curieux d’avoir une autoroute en plein milieu d’une ville, le Grand Tana. Une quatre voies express façon boulevard de l’Europe semblerait plus adaptée. Et surtout, gratuite pour les usagers, plus simples à construire, puisque pas de sortie ni d’entrée d’autoroute à faire, juste un raccord à Ankorondrano. Un magnifique projet : Antanimena-Ivato en ligne droite et en quatre voies avec boutiques, bureaux, centres commerciaux et appartements. Une ville nouvelle occupant les rizières de part et d’autre de cet axe puissant jusqu’à l’aéroport actuel.

Arrêtons les jolies rêves, et revenons à notre autoroute. Elle sortirait où ? Du côté de l’ex-Shareton, déjà occupé par les Chinois, avant Horizons Ivato (chinois), non loin des ex-villas présidentielles (chinoises). Nos amis de Chine seraient-ils entrain de se mettre en place un vaste chinatown dans cette zone ? Et aurait-il besoin de cet axe pour optimiser leur grand projet ?

Une autoroute pour qui ?


On l’a vu, une autoroute, ça se paye. Et à 15 000 Ariary l’aller-retour (estimation libre), il risque d’y avoir peu de monde pour prendre cette route. On nous dit que cela va soulager les embouteillages. Il n’y a pas d’embouteillage pour aller à l’aéroport proprement dis. Il y a des bouchons sur la route Digue, pour aller à Ambohibao ou Talatamaty, mais après… Plus rien. Et en tout cas, aucun embouteillage entre l’ex-Shareton et l’aéroport. Et pour cause : les gens qui prennent l’avion sont plutôt rares. Nous n’avons jamais vu le petit parking de notre aéroport plein. Alors, à qui profite le crime ? Qui va utiliser cette infrastructure de luxe ? En quoi pourrait-elle désengorger la circulation ?

Nous parle-t-on de prévisions de développement ? D’anticipation ? 🙂 désolé, on n’est pas habitué ;). Alors, prenons-le sous cet angle. Oui, avec le temps et la logique émergence de Madagascar – vous avez vu la classe : on a réussi à caser « émergence » deux fois ! 🙂 – l’aéroport International d’Antananarivo Ivato va voir son trafic augmenter, c’est sûr. Seulement, on sait déjà qu’il est sous-évalué, et non-extensible, sauf à construire sur le lac. Pas besoin d’étude pour comprendre que l’aéroport est trop petit pour une capitale ; qu’on ne laisse pas non plus un aéroport de cette importance dans une zone urbaine. En conséquence, il faudra construire un nouvel aéroport dans une zone plus propice. Arivonimamo est déjà cité depuis des années d’ailleurs.

À quoi servira donc cette autoroute, si on déplace l’aéroport international ? Rappelons que, pour rembourser une autoroute, il faut environ 30 ans… et qu’après on paye l’entretien. Bien avant trente ans, ayons foi en notre pays, il sera grand temps de construire un autre aéroport. Il serait même de bon ton, d’y penser dès maintenant.

Des autoroutes. Oui, il en faut. L’axe Tana-Tamatave semble indispensable à mettre en place tant pour des raisons de développement que pour des raisons de sécurité. La continuité vers Antsirabe créerait un pôle puissant entre les deux villes. Le Grand Tana regorge de projets routiers urgents à mettre en œuvre, comme l’avait commencé Marc Ravalomanana avec les quatre voies de 67 hectares ou Anosy, par exemple. On citera bien sûr le franchissement des ponts vers Itaosy, ou l’axe Analamahitsy-Ilafy, la traversée du centre-ville etc. En tout cas, il nous semble que, s’il y avait des axes routiers à financer, ils seraient plus dans ceux là, que dans un autoroute Tana-Ivato.
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