Colonisation de Madagascar : 1894, la France et son Corps Expéditionnaire.

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Un document exceptionnel trouvé par l’équipe dans les archives en ligne de la Bibliothèque Nationale Française. On assimile trop souvent la colonisation française de Madagascar à Galliéni. En fait, Le Général n’est arrivée qu’en septembre 1896 pour « pacifier » le pays. L’invasion a été conduite par le Général Duschesne à la tête de ce que la France d’alors, dans ces efforts de propagande de l’époque, a nommé : un corps expéditionnaire.

 

 Avant-propos : Dwizer, comme à son habitude, n’est pas dans une démarche partisane. Le principe n’est pas de rentrer dans la position facile de juger l’Histoire un siècle plus tard, quand toutes les valeurs ont radicalement changé. Le propos est juste de faire découvrir et partager ce document historique rare qui peut aider à mieux comprendre ce qui s’est passé à l’époque, et les incidences que cela peut avoir sur certains enjeux contemporains. Si des historiens veulent participer à un débat sur l’histoire de Madagascar, qu’ils prennent contact avec nous. Nous les publierons volontiers, à la condition que leur discours ne soit pas engagé, mais représentent bien un travail de qualité.

 Le Royaume de Madagascar, cantonné au centre de l’île.

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Au delà des points de vues colonialistes ou nationalistes (selon), ce document étonnant pose une vision de Madagascar : une île et son royaume comme perçu à cette époque, en 1894. On le voit bien sur la carte, très certainement inspirée par des rapports d’état-major en préparation de leur action, donc plutôt précis, en vue de l’opération appelée Corps Expéditionnaire, le Royaume de Madagascar a des frontières flous et se concentre en grande partie sur la partie centrale de l’île. Ceci conforte le travail de Pierre Verrin qui, dans son Histoire de Madagascar, parue aux éditions Karthala, indique que les « Hovas » n’ont jamais conquis la totalité de la grande île. Par contre, ils en étaient bien, à cette époque, le peuple dominateur. Cette notion de territorialité peut avoir des conséquences sur, par exemple, la revendication des îles Éparses rattachées à notre île par des documents coloniaux. Si l’on peut légitimement penser que la France est bien loin de son territoire légitime, la France métropolitaine, la proximité ne justifie pas l’annexion. Dans cette perspective, la co-gestion proposée par Hery Rajaonarimampianina ne serait pas dénuée de sens.

Rainilaiarivony, le « méchant » de l’époque.

Nous allions dire le « Sadam Hussein » de l’époque… mais nous nous sommes repris, entendant déjà les clameurs révoltées des apôtres du premier degré. Mais, du point de vue de la communication politique, cette comparaison est tout à fait révélatrice et nous aide à poser un regard plus nuancé sur les propos intenses propagés dans les médias encore aujourd’hui, quand des politiques décident de présenter un potentiel ennemi, comme un « dictateur », un « terroriste »,… Celui que l’on veut faire tomber est présenté à l’unisson médiatique, comme l’horrible méchant qui concentre toutes les hontes et tous les méfaits, l’incarnation vivante du Mal. Il est présenté comme l’homme à abattre, celui qui justifie la guerre ou la répression au nom d’un combat du bien contre le mal. Celui qui est prêt à tout avec ses « armes de destruction massive », alors qu’au fond, même si le personnage est trouble, il n’essaie peut être en fait que préserver son intérêt et celui de son peuple selon ses convictions propres. Le problème est, dans ce cas, le mélange des genres, quand le dirigeant confond intérêt personnel et vision nationale. Mais cela justifie-t-il une invasion au point de détruire un état structuré. Les exemples iraniens, afghans ou libyens par exemple, nous laisse un sentiment amère. Le point de vue n’étant pas bien sûr de soutenir ou réhabilité des personnalités comme Sadam Hussein, Kadafi ou les Talibans, ni de les comparer à Rainilaiarivony.

1894, 75 000 habitants à Antananarivo.

L’autre aspect intéressant de ce document est la description de l’île. La population totale y est estimée à environ 5 millions d’habitants. Ce qui porte à une réflexion claire : en un siècle, cela a finalement très peu évolué. S’il y a une accélération certaine depuis une vingtaine d’année, en 1994, cent ans plus tard, la population globale avait tout juste doublée. Dans le même temps, la population de la terre passait d’environ 900 millions d’habitants à 6 milliards. Soit six fois plus. Un des grands méfaits de toutes colonisations : celui de ne pas profiter au développement des populations locales et à la réduction de la mortalité par exemple.

Plus anecdotique, est non moins important, les ressources estimées. Si le riz et le manioc apparaissent en bonne place, on y retrouve en première ligne des cultures quasiment perdues ou en voie de l’être comme : les ambrevades ou pois d’Angole, l’arrow-root (marantes), ou le soanio (Taro)… elles expriment certainement la variété de la gastronomie malgache de l’époque peut être pas cantonnée au ravitoto et au romazava. À noter, l’absence totale de mention de l’élevage du zébu, que l’on considère aujourd’hui comme le symbole même de notre identité nationale.

L’indigo était à cette époque une culture de grandes fortumes en Europe. Elle permettait de faire notamment la couleur bleu indigo dont l’utilisation la plus connue était pour colorer les costumes militaires. Plus étonnant, ces « gisements de charbon de plusieurs centaines de kilomètres » ??? mais où sont-ils donc passé ? Nous n’en connaissons aucune trace à ce jour. Étaient-ils sur-évalués puisque c’était l’or noir du 19e siècle ? Une simple erreur d’estimation ou nos « armes de destructions massives » à nous, c’est à dire un bon prétexte pour justifier une invasion aux yeux de l’opinion publique. des recherches seraient à faire sur ce potentiel minier disparu.

Nous reproduisons ci-dessous le texte telle qu’elle (sans corrections, ni adaptions) dans un esprit d’intégrité. 120 ans après, ce document nous a paru très intéressant et nous souhaitions vous le partager. Gardez-vous d’y piocher des phrases pour justifier une haine inappropriée quelque soit le clan qui vous pensez défendre. Juste un devoir d’Histoire, car assumer celle-ci, y compris dans ces périodes sombres, c’est mieux se préserver des dérives faciles, et construire un avenir plus solide. Éviter de reproduire toujours les mêmes erreurs.

Ci dessous une reproduction du document original. Cliquez pour agrandir.

Pour la lire dans son intégralité, voir sur le site de la BNF : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b77590742

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MADAGASCAR, 1894, LES OPÉRATIONS MILITAIRES.

Léon Hayard, éditeur, 146, rue Montmartre.

Madagascar, île de l’Océan indien, égale comme superficie (600 000 kilomètres carrés), la France et la Belgique réunies.
Sa population est d’environ cinq millions d’habitants.
Le pays est fertile, le climat chaud. Humide sur les côtes il est tempéré et sain dans l’intérieur.

Historique. – Après le Sénégal, Madagascar est la plus ancienne de nos colonies. Nos droits sur elle remontent à 1643.
Des colons Français s’établirent à cette époque simultanément à Ste-Luce et à Fort Dauphin.
A plusieurs reprises, notamment sous Louis XIV et durant les guerres du premier Empire, ces droits nous furent contestés, mais depuis le 1815, toutes les nations européennes, y compris l’Angleterre, ont fini par les reconnaître.

Productions. – Le riz est la grande culture des indigènes. Le Caféier y pousse à souhait ; le manioc et l’arrow-root (marantes) y viennent dans d’excellentes conditions ; arachides, embrevades, saonio (taro).
L’indigo y pousse à l’état sauvage et si la culture en était tentée elle donnerait vite d’excellents résultats. Le tabac, la canne à sucre, le coton y sont cultivés avec succès. Tous les métaux, depuis l’or jusqu’au fer, s’y trouvent réunis en grande quantité.
Le charbon y occupe des gisements de plusieurs centaines de kilomètres. Une forêt vierge de 3 000 kilomètres de long et de 50 à 70 de large, entoure comme une immense couronne de verdure, les rampes du littoral. Les essences forestières, pour matériaux de construction, bois d’œuvres pour meubles, mâture de navires, y foisonnent : teck, ébénier, bois de natte, palissandre, bois de rose, ravenala, etc…
L’île fournit à la fois et les produits des tropiques et ceux des régions tempérées. Presque partout la récolte se fait deux fois par an.

Causes du conflit. – Par deux traités, signés en 1885 et 1890, le gouvernement Hovas s’engageait à subir notre protectorat. mais il s’est toujours refusé à en exécuter les clauses. Nos colons ont été volés, pillés, assassinés avec la complicité de ses fonctionnaires. S’abusant sur notre longanimité et persuadés que nos préoccupations extérieures nous empêcheraient de tenter une expédition aussi lointaine, ils ont insolemment reçu envoyé, M. le Myre de Vilers, porteur d’un ultimatum et leur premier ministre, Rainilaiarivony a même prononcé ces insultantes paroles : « Les Français sont des chiens qui aboient mais qui ne mordent pas ».

Population.– Elle se subdivise en nombreuses peuplades, dont les plus importantes sont les Hovas (1 200 000 habitants) et les Sakalaves (1 600 000 habitants).
Les Hovas, maîtres actuels de l’île et nos ennemis proviennent de la Malaisie. Ils ont, des Asiatiques, conservé les stigmates : teint jaunâtres, yeux légèrement bridés, cheveux droits et lisses.
Habitant de l’île depuis plusieurs siècles, c’est depuis une centaine d’année seulement que grâce à leur politique toute d’intrigues et de fourberies – et grâce surtout aux armes que leur fournissaient les Anglais – ils ont pu sortir de leur obscurité.
L’armée Hova, que certains disent si terrible, ne se compose en réalité, que de 15 à 20 000 soldats et sur ce nombre, 4 à 5000 à peine possèdent un armement et une discipline singeant l’européenne.
Leur caractère est loin d’être guerrier, mais ils possèdent au plus haut point, par crainte de perdre leur suprématie dans l’île la haine de l’étranger, – quoiqu’ils soient, aussi bien Anglais que Français. – Ils occupent le centre de l’île avec pour capitale Tananarive (75000 habitants).
Les peuples qui leur sont soumis sont : les Antsianacs (250 000 habitants), race indolente et paresseuse ; les Betsileos (5 à 600 000 habitants), au sud des Hovas, race d’esclaves ; les Bezanezanes (50 000 habitants), qui occupent la vallée du Mangour ; les Betsimisaracs (800 000 habitants), mot qui désigne un ensemble de peuplades (Antavares, Betanimènes, Antatsimes), tous d’une extrême douceur et d’une extrême paresse ; Les Antankares (200 000 habitants) occupent la pointe de l’île et les Antaimours situés au long de l’Océan indien, entre Mananzar et Farafangane.
Les peuples demi-indépendants sont : les Sakalaves, anciens maîtres de l’île. Leur haine pour les Hovas est grande, mais leur défaut d’organisation les réduit à l’impuissance. Les Sakalaves se sub-divisent en une douzaine de royautés indépendantes les unes des autres. Ce sont, a dit un écrivent, les kabyles de Madagascar. Il pourront nous être d’un utile concours. Les Antanosses, nos voisins de Fort-Dauphin ; les Tanales, peu nombreux et qui habitent les forêts ; les Baras occupent le sur de l’île, pays insalubre et mal connu.
Les peuples indépendants se subdivisent en : Mahafals, peuple de pillards dont le pays situé entre les rivières de St Augustin et Minarande, est très mal connu ; les Antandroys, au sud de l’île, près de cap Ste Marie, peuplade sauvage dont les différentes tribus sont toujours en guerre, enfin les Machicores, peuplades errantes et peu importants, entre les pays des Bares et les Antandroys.

Point stratégique. – Nous avons vu, comme climat et production, ce qu’était l’île de Madagascar. La possession de Madagascar nous donne une des clefs de l’océan indien. Après Suez, la route des Indes de l’Extrême-Orient est entre nos mains. La colonie anglaise du Cap est annulée et la flotte commerciale anglo-indienne se trouve directement menacée par l’Océan. Avec notre poste du Diago-Suarès qui s’avance directement vers Madagascar notre situation coloniale deviendrait donc prépondérante dans tout l’Océan Indien.

Ranavolo III

Née en 1862, la reine de Madagascar Ranavolo Manjaka, est montée sur le trône en 1883. Jouissant, en principe, d’une autorité absolue, le premier ministre, son époux est, en fait, seul à commander. On ne la consulte en aucune circonstance. La reine passe ses journées dans la plus grande oisiveté, n’ayant d’autres distractions que le cerf-volant, jeu national des Malgaches ou d’interminables parties de loto et de dames, qu’elle joue avec des familières. On dit que sa jeunesse inutile à côté d’un époux trop vieux lui pèse de plus en plus et qu’elle aspire à prendre plus d’indépendance personnelle et plus autorité dans les affaires de l’Etat.

Rainilaiarivony.

En réalité le vrai chef de l’Etat et l’époux de la reine car la constitution malgache a cette exigence bizarre que la souveraine doit épouser le premier ministre en fonctions lors de sont avènement.
Raninilaiarivony, qui occupe ce poste depuis juillet 1864, en est à sa troisième reine.
Très intelligent, très patriote, ne manquant ni de fermeté ni d’énergie, il est rusé et faux comme tous les Hovas. Il promet tout ce qu’on veut bien lui demander, mais n’est observateur de la parole donnée que lorsqu’on vient lui rappeler avec l’appui d’une forte démonstration militaire.
Depuis qu’il est sur le trône, il a su consolider son pouvoir en créant et en s’attribuant le titre de « Commandant en chef » qui lui donne sur l’armée une autorité absolue.

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