Notre bref séjour à Mahajanga, était pour Dwizer, une belle occasion de vous en présenter quelques-uns des endroits les plus sympas. L’un de ceux-ci nous paraissait, on ne peut plus intéressant : les grottes d’Anjohibe. Le soleil au beau fixe, nous nous faisions un plaisir de cette excursion devant se finir en baignade dans une piscine naturelle. Mais la journée s’est transformée en un périple révélateur. Une de ces journées riches en évènements qui vous éclaire à jamais. Comme il est dit dans le film Matrix : « l’important, ce n’est pas le but, mais le chemin parcouru« .
Une excursion vers les grottes d’Anjohibe.
Ça, c’était le but : la visite du site des grottes d’Anjohibe. Les guides et autres informations touristiques vous conseillent de le faire sur deux jours. Il faut compter quatre heures environ pour y aller. C’est donc un peu juste pour le faire dans la journée, sauf à partir de Mahajanga le plus tôt possible, et de finir le retour dans la nuit. Sur place, la visite de la grotte se fait assez rapidement. La piscine naturelle, un petit lac aux eaux cristallines sous une cascade, est juste à côté. Sur le site également, un petit hôtel-restaurant avec bungalows. Pas d’interminable marche à pied donc pour la visite. Nous faisons vite nos calculs : départ 7h30 du mat. Arrivée théorique sur site : 11h30. Parfait pour le déjeuner. 13h00, visite la grotte. Plongeon prévu dans l’eau cristalline vers 14h30 max. 15h30 retour vers Majunga. En théorie, nous serions de retour à l’hôtel pour 20h00. C’est un peu expéditif, mais les vacances ne sont pas éternelles et les jours passent vite. Correctement assis dans un 4×4 avec chauffeur et clim, ça ne devrait pas être insupportable LOL.
Comme prévu donc, départ de l’hôtel gonflé de la joie des découvertes annoncées vers 7h00. Pour sécuriser le périple question temps, et de ne pas avoir à en perdre en route, nous faisons confiance au guide Rivo Un guide touristique habitué des lieux. Le propriétaire de l’hôtel restaurant sur place n’est autre qu’un membre de sa famille. Frais 40 000 Ar la journée (13 Euros env.) + droits de visite de la grotte.
Sortie de ville sur la route de Tana. Comme un air de retour. Sur les 84 km qui nous séparent des grottes, les premiers 20 km se font donc tranquillement sur la RN4. Une plaque de béton peinte sur la gauche indique les grottes. On s’engage. Là commence l’aventure 😉
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La plantation de noix de cajou : les chèques aux bonnes intentions.
Au premier village, bref arrêt, et échange de bon procédé : un des villageois, le président, souhaite profiter du voyage pour se rendre aux villages suivants. Sur ces pistes, les véhicules sont rares. Si on peut rendre service, c’est avec plaisir. On mange quelques jujubes sous l’arbre « mamy be ! » (bien sucrés) et repartons sur les pistes. Chemin faisant, nous constatons les nombreux endroits brulés par les feux de brousse, et la maigre herbe fraîche repoussant derrière. Quelques centimètres de verdure tendre que de maigres zébus épais et grands comme un veau affamé, broutent aussi vite qu’ils ont poussé. Il est sûr que sous cette chaleur sans pluie, vaut mieux dévorer vite ces jeunes pousses avant qu’elles sèchent sous le soleil.
Nous demandons au président pourquoi ces feux de brousse ? Et s’ils sont conscients des ravages que cela fait sur la biodiversité, lui faisant remarqué les kilomètres de hautes herbes sèches parsemés de buissons qui nous traversons. Plus aucune forêt à l’horizon. Il nous répond que ce sont les éleveurs de zébu qui font ça. Pas eux. Eux, sont cultivateurs. Et à l’occasion chasseurs de sangliers. Ils les piègent et les vendent. Un sanglier se négocie à environ 30 000 Ariary l’unité. Selon la grosseur, cela peut aller jusqu’à 45 000 Ariary ! Franchement pas cher. Mais il paraît qu’ils sont nombreux dans cette région. Sur le problème de la désertification et de la biodiversité détruite par ces feux de brousse, le président est très clair : « ce n’est pas les feux de brousse qui détruisent les arbres. Avant, il y avait beaucoup d’arbre ici. Des palissandres, de l’ébène… Mais c’est les camions qui viennent couper les arbres. Il suffit de demander une autorisation à Mahajanga… Et ils coupent tout ce qu’ils veulent. Personnes peut rien dire. Il n’y a personne pour surveiller. Ils coupent, et emmènent dans leur camion« . On croise d’ailleurs l’un de ces camions. Ils nous expliquent que maintenant, ils sont obligés d’aller les chercher très loin. Plus loin que les grottes. Quelques rares et jeunes pieds de palissandre au milieu des Satranas (sorte de palmier) ont bien du mal à essayer de survivre sur le bord de la piste. Ils ont de bien maigre chance de grandir à cause des feux de brousse réguliers. Il y a donc bien un pillage des ressources naturelles sous la forme de ces coupes anarchiques, mais les feux de brousse sont bien là pour assurer le sale boulot et détruire toute chance de reforestation.
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Il faut bien se mettre dans l’ambiance du lieu pour mieux comprendre le projet noix de cajou. Des dizaines (peut-être même des centaines) de kilomètres carrés d’herbes anarchiques brûlantes sous le soleil, parsemés de Satranas et quelques arbres ou buissons. Au hasard d’une proximité avec un point d’eau, quelques zébus ou un peu de cultures. Mais surtout des kilomètres carrés de quasi-désert inexploité. Pas de plantation. Pas une case ou maison. Rien. Un noman’s land difficile à vivre, donc sans avenir. Il faut un sacré brin de folie pour avoir l’idée d’y investir quoi que ce soit, ou de croire en l’avenir d’un tel endroit, sauf à une découverte miraculeuse de minerai. Autant dire, un miracle. Et pourtant, dans ce quasi-désert, ou en voie de le devenir, un homme à eu une idée de dingue. De ces idées incroyables qui font les légendes des tropiques : sur un carré de six kilomètres par six kilomètres, faire une plantation de noix de cajou. Un arbre parfaitement adapté à ces climats rudes.
Et surtout, un potentiel économique important pour cet endroit. Peut-être un renouveau en perspective, car, évidement, si l’affaire marche, des centaines d’hectares vides n’attendent que cela. Bien sûr, ce n’est pas du pétrole, mais il y a de l’idée. Le bonhomme, dit « l’allemand » par notre guide, mais dont le nom sonne curieusement breton est un de ces zanatanys (étrangers installer à Madagascar depuis très longtemps, souvent plusieurs générations), a donc fait planter ces 36 km2 d’anacardier (selon le guide). Il embauchait les gens du coin, notamment pour les premières récoltent. Les choses étaient bien parties même si l’on était encore loin des récoltes prévues quand les anacardiers auraient atteint leur pleine productivité.
Seulement voilà, les fameux éleveurs de zébus (les mêmes à l’origine des feux de brousses selon le président) se croient là sur leur terre « ancestrale », malgré toutes les justifications conformes qu’est bien obligé d’avoir notre planteur. Et leurs zébus, si maigres, trouvent dans ces jeunes plants d’arbres, une nourriture abondante et fraîche, au risque de les faire mourir ou d’en empêcher la bonne pousse. Évidemment, l’homme, sous couvert des autorités, tentent des explications, et met des gardiens… Bref, il met tout en œuvre pour essayer de mener à bien son projet. Rien y fait, les éleveurs, eux, s’estiment dans leur bon droit : il pense être sur leurs terres « naturelles », celles sur lesquelles leurs troupeaux broutent depuis la nuit des temps. Et, quand les zébus n’ont plus qu’une herbe dure et sèche à essayer de brouter, qu’ils sont si maigres par le manque de nourriture et la sécheresse, ils leur semblent si pratique et simple de les emmener dans les plantations faire le plein de ces bonnes feuilles, ou, en saison, de profiter des pommes de cajou, le fruit de l’anacardier (pour être, honnête, on ne nous a pas précisé ce que les zébus manger vraiment sur l’arbre).
Un jour, probablement excédé par l’attitude des éleveurs, et l’inefficacité des forces de l’ordre à faire respecter ces droits d’exploitation et la justice, il décide de mettre sa plantation sous surveillance avec des gardiens armés. Les zébus rentrent dans les plantations. Les gardiens tirent et tuent les zébus. Révoltés les éleveurs ont allumé un feu de brousse dans la plantation. Les arbres repoussent. Mais chaque année, les éleveurs remettent le feu. L’homme à laisser tomber. 36 kilomètres carrés de plantation d’anacardier, et d’un espoir agricole pour la région, sont réduits à néant. Les maigres zébus continuent leur manège au gré des repousses en saison sèche. L’endroit continue sa désertification à feu doux. Les enfants des éleveurs n’ont plus que l’émigration vers les grandes métropoles pour espérer de meilleurs jours. Et chaque année les éleveurs continuent quand même de mettre le feu dans ce qu’il reste de cette plantation, comme pour être, bien sûr, que ce projet ne renaissent pas de ses cendres un jour ou l’autre.
L’intervention de l’État dans le tourisme vécu comme une expropriation de bien.
Continuant notre chemin, le guide Rivo et le président se laissent aller à leur crainte concernant le développement du tourisme local. Ils nous expliquent que, l’argent que les touristes paient pour l’entrée du site touristique aux grottes revient au village, et sert en autre à payer l’instituteur. « 100% pour eux » comme disait Rivo. Il est inquiet, car les organismes d’État comme l’Angap sont venus voir le site et ont essayé d’en évaluer le potentiel. Les Grottes attirent de plus en plus de tourisme. Je m’étonne, leur expliquant naïvement que, si l’état s’en mêle, il fera un minimum d’infrastructure, refera probablement la piste, … Cela permettra sans doute de structurer l’endroit et permettra peut-être l’installation d’autres hôtels, l’embauche de personnel. La vision idéale du développement d’une région grâce au tourisme.
Leur vision à eux est tout autre. Si l’état vient, m’expliquent-ils, c’est 80% pour l’état, et 20% pour le village. Les guides aussi n’ont plus que 20% des sommes payées. Le reste va à l’état. j’essaie de maintenir mon raisonnement avec un timide « 20% de beaucoup, c’est toujours mieux que 100 % de pas grand chose« … je ne suis pas sûr qu’ils bien compris la formule, le guide Rivo continuant sur sa lancée. En plus, » l’État va imposer des guides formés dans des écoles de tourismes de Tana« . Autrement dit, des Imerinas (ethnie habitant la capitale). Les guides locaux n’auront plus de travail. Et ce sera pareil pour les postes qui se créeraient avec l’implantation d’une infrastructure touristique. Tout juste si les femmes du coin pourront faire femme de ménage dans les hôtels qui se créeront. Mais pour nous, ici, me dit-il, « s’ils viennent ici, si quelqu’un vient prendre ton travail, … Alors le village s’en va ailleurs, on s’en va« . Autrement dit, s’ils viennent piquer notre boulot, on ne va pas en plus les aider et leur donner 80% de l’argent qui rentre ! C’est du racket. De là à pensée qu’ils ne vont pas leur facilité la vie. Voir faire table rase du business potentiel pour qu’ils repartent chez eux. En gros, le syndrome d’Anjohibe : « on est peut-être dans la merde, mais tu ne viens pas faire ton business chez moi« . « Ne joue pas avec mon jouet pourri, même si tu dis que tu m’en offriras un autre en or« .
Le refus catégorique de la marche du progrès, rejetée et perçue comme une menace. Un sentiment de chacun pour soi par opposition aux sentiments qui peuvent construire une société, une nation à travers l’édification d’un bénéfice commun. Peut-être un peu moins pour soit, mais beaucoup plus pour tous. Bien sûr, on ne peut leur en vouloir. De l’autre côté, le manque de volonté d’intégration des locaux ne va pas dans le bon sens. À quoi, on nous objectera souvent avoir tout essayé, mais que les locaux ne veulent rien savoir. Oui ! Chacun défend son steak. Pas de vision. Pas d’engagement. Juste l’instant. Le « je-prend ». Et surtout être convaincu que tout cela est la faute de l’autre. Que soit, on est dans son bon droit.
Le mauvais sort des sangliers.
« Un malheur n’arrive jamais seul » aurions-nous pu appeler cet article. Même si, jusqu’ici, la malchance ne nous était pas destinée. Cette histoire est si caractéristique des obstacles empêchant tout développement et toutes chances d’avenir. Peu de temps après avoir traversé une magnifique petite rivière aux eaux d’émeraude, nous arrivons à étrange « col » en plaine : deux petites collines de chaque côté de la piste. Un passage étroit au milieu des cailloux. Et, là, planté au beau milieu, et incontournable, un taxi be, coincé, essieu cassé. Au début, ce n’est pas vraiment inquiétant. Les Malgaches sont des as de la débrouille mécanique et des champions de la piste. Si un jour, vous êtes planté en brousse avec votre voiture, laissez-les faire. Ils vous sortiront de n’importe quoi. Même si les méthodes sont parfois peu orthodoxes.
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On va voir. On regarde les artistes à l’œuvre. Mais, quand nous nous rendons compte que l’essieu est complètement cassé, je ne me fais aucune d’illusion. Juste l’attente d’un miracle, comme seules, ces mécanos de l’impossible savent le faire. Dans l’attente, on voit un premier sanglier être déposé sur le bord de la route, le poil grillé. Deux hommes s’avancent. L’éventrent pour lui retirer les entrailles. Le guide nous explique alors que ce taxi brousse transporte des sangliers. Avec l’attente sous la chaleur, entassés sous les places arrières, ils étouffent. Certains meurent. Il faut donc les vider pour éviter qu’ils pourrissent, et espérer tout de même vendre la viande.
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Effectivement, nous prenons le temps d’aller regarder l’intérieur du camion. Un carnage en devenir. Une puanteur. Les sangliers suffoquent les uns sur les autres. Une bonne dizaine, voir plus. Certains cherchent de l’air. D’autres semblent ne plus bouger du tout. Probablement mort, ou en cours de l’être. Pour 20 000 Ariary la tête, ils crèvent lamentable à l’arrière du véhicule coincé, en panne, sous la chaleur, sans ombre sous la tôle du taxi be. À aucun moment, les hommes présents ne pensent à les sortir du vieil utilitaire Renault pour les mettre à l’air et à l’ombre dans les arbres à 4 mètres de là. Ni à leur donnée à boire. Quitte à ce qu’il meurt et qu’ils ne puissent même plus les vendre. Évidemment, une heure plus tard, ils pensent avoir réparé la roue et tentent de faire bouger le taxi be. Il ne fera même pas 30 centimètres et la roue cèdera de nouveau, bloquant la piste. Ces hommes décourager n’essaieront même pas de vider leur véhicule des sangliers mourant pour qu’on essaie au moins de le bouger un peu plus sur le côté pour que nous puissions passer. Nous et les autres voitures prenant cette piste. Ils s’assoient tranquillement à l’ombre sur le bord de la route, espérant sans doute qu’on les paye pour qu’ils bougent leur épave. Notre chauffeur hasardera une autre hypothèse : un refus ethnique « ils font la guerre » comme il dira, faisant allusion aux faîtes qu’ils soient « côtiers », pas nous. Ne souhaitant pas perdre plus de temps, nous renonçons et faisant demi-tour. Pas de grottes d’Anjohibe donc ! Ce sera pour une prochaine fois.
Feux de brousse : sous les feux de la rampe.
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Après cela, la conversation s’est estompée pour laisser place à l’envie d’en finir avec cette journée. Le chemin du retour s’annonçait un peu triste. Ambiance, vivement en ville pour aller se baigner, siroter une bière ou deux… et oublier cette mésaventure. Peu de temps avant de retrouver la route, une fumée épaisse se dessine dans l’horizon et semble se rapprocher de nous. À moins que ce soit nous qui, en avançant, nous rapprochons de ce feu de brousse en pleine activité. Effectivement, arriver à la route, il n’est plus qu’à un petit kilomètre de là. Je décide d’aller voir cela de plus prêt, au moins pour prendre des images. On se rapproche le plus possible par la route. Je descends et m’enfonce dans les herbes hautes. Les flammes sont hautes et vivaces. C’est incroyable comme il progresse vite. Je suis sur le côté, et lui fonce littéralement vers la route. Une bonne centaine d’oiseau précèdent le feu. Au départ, je pense que c’est par peur et qu’ils fuient. Mais non : ils le précèdent juste à bonne distance. Le feu repousse des milliers d’insectes en tout genre. Des proies faciles pour ces oiseaux. Je rejoins la route le feu se dirigeant droit dessus. Une case en tôle est sur le chemin. Un couple s’affole. Ils sortent armés d’un seau, d’un kapoke en plastique et des branches pour étendre les premières flammes qui se montreraient trop dangereuses pour leurs habitations.
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C’est bien là l’autre problème de ces feux de brousse : ils ne sont pas maîtrisables. Le guide Rivo me dit que, parfois, les habitants l’allument juste pour leur plaisir ? Que c’est, pour eux, comme un feu d’artifice. Ils trouvent cela jolie. Mais une fois allumé, il peut s’éteindre 30 mètres plus loin, comme ravagé des dizaines d’hectares, brûlant tout sur son passage.
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Ces saisons sèches sont un véritable drame pour le pays. Les feux de brousse inondent le ciel d’une brume matinale tenace. La biodiversité est saccagée de manière quasi-irréversible. Cela déverse des tonnes de pollution dans l’air au point d’influer sur le réchauffement climatique en relâchant du carbone dans l’air. Cela fait prendre des risques aux populations proches, ou même aux voitures passant par là dans les cas où ils frôlent les routes. On ravage le pays et la planète, des êtres vivants, on prend des risques… Pour une poignée d’herbes fraîches, quelques jeunes pousses éphémères de 3 à 5 centimètres de haut. À Anjozorobe, un autre jour et toujours témoin d’un feu de brousse, un autre guide touristique travaillant pour une ONG m’a expliqué que les gens mettaient le feu aux forêts d’eucalyptus replantées dans le cadre de reboisement. Ces arbres sont sur des zones domaniales, et, en conséquence, les habitants n’ont pas le droit d’y toucher. La loi serait ainsi faîte que, s’ils sont brûlés, alors il est autorisé de les ramasser pour faire nettoyer, en quelque sorte. Les gens vont alors tranquillement dans ces forêts brulées par leur soin, et revendent ensuite le charbon.