Liberté d’expression, le pouvoir reste sourd.

liberté de la presse Madagascar

Alors que le code de la communication fait face à une pluie de contestation nationale et de mises en garde ou condamnations d’organismes internationaux comme Reporter Sans Frontière, Union des Journalistes Francophones, la Fédération internationale des Journalistes et même l’ambassade des USA à Madagascar ou encore l’Union européenne (selon André Rasolo), ce code fait des allers-retours stériles entre le Sénat aux ordres de la présidence et l’Assemblée nationale qui ne veulent pas changer une ligne de celui-ci sauf pour le durcir. Les politiques au pouvoir à Madagascar semblent s’enfermer de nouveau dans un égocentrisme atavique (pour ne pas dire récurant) : « moi d’abord, advienne que pourra ».

Les trois singes de la sagesse.

Cette vieille légende semble reprendre du service pour illustrer les dérives autoritaires des régimes. L’aveugle, le muet et le sourd comme symbole d’un management du pouvoir. Ne pas voir le mal, ne pas parler du mal, ne pas entendre le mal, comme règle de bienséance nous enseigne la légende reprise comme modèle par Ghandi. Si le célèbre Mahatma y voyait de la sagesse et un modèle de persévérance ou même de résilience, en souhaitant toujours avancer sans se laisser distraire ou arrêter par les maux, nos politiques semblent y voir un modèle d’exercice du pouvoir sur le mode : ne t’occupe de rien, on s’occupe de tout. Sous-entendu, le peuple n’est pas là pour déranger l’élite dans son œuvre, qu’il subisse et se taise. Ou encore « nous ne voyons pas la misère, nous ne nous expliquerons pas, nous t’entendons pas vos souffrances ».

Sous le régime HVM, depuis prêt de trois ans au pouvoir, on était plutôt, jusqu’à peu, dans l’attentisme et le flou. « Pas de bras, pas de chocolat ». Pas d’action, pas d’effet. Patiente, la population mettait cela sur le compte d’un difficile retour à un état de droit dans le sens constitutionnel du terme et à un manque de moyens suite à la crise et après quatre années de transition.

Cependant, cette patience s’use face à la réalité : l’insécurité augmente toujours au point d’arriver au premier attentat à Madagascar; les pauvres toujours plus pauvres, quand les riches sont toujours plus riches sans trop comprendre comment; l’état des infrastructures et des routes est de pire en pire malgré quelques opérations de rebouchages de trous dans la capitale; des délestages qui reviennent à intervalles réguliers sans qu’aucune initiative d’envergure ne soit prise pour résoudre le problème (nous rappelons sur le sujet que de pareilles opérations de délestages n’avaient plus eu lieu ni sous la fin de Ratsiraka, ni sous Ravalomanana, ni même sous la transition pourtant exsangue!); quoi pour le social  ou pour l’emploi? Quoi pour la relance économique ou pour encourager les investissements nationaux ou internationaux? Quoi pour la santé, la préservation de l’environnement ou un meilleur vivre ensemble? Le monde n’entend plus parler de Madagascar qu’à l’occasion d’un lynchage, de la peste ou pour des cas de mauvaise gouvernance comme l’adoption aux forceps de ce code de la communication liberticide.

Francophonie, fin de mandat et précipitation.

Le sommet de la Francophonie est déjà dans les murs et l’échéance approche à grands pas. Faut sauver les apparences et essayer de briller un peu, en espérant en faire de la poudre aux yeux du peuple malgache pour se faire réélire en 2018. D’un seul coup, c’est l’affolement pour montrer qu’il y a du travail de fait et tenter de faire bonne figure vis-à-vis des bailleurs de fonds internationaux sur le mode « regarder comme je fais des choses ».

Comme dirait un autre adage francophone bien connu : il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Ce n’est pas parce que l’on fait que l’on fait bien. L’art de gouverner passe par la concertation.  Ce n’est pas en privant le peuple de parole par un code de la communication mal ficelé que l’on cachera la misère et le manque d’action d’un mandat présidentiel de gestionnaire plutôt que celui d’un visionnaire.

Cette attitude hautaine du pouvoir est en train de cristalliser des haines et des frustrations au point que le miroir aux alouettes de la Francophonie risque bien de se transformer une fois de plus en caisse de résonance bien négative pour le pays, tant les forces d’opposition semblent retrouver dans la vigueur, de la motivation et un bâton bien tendu pour orchestrer un retour ferme voir violent.

Pourquoi préférer l’urgence à la concertation?

Que coûterait à l’état de prendre le temps de la concertation? Pourquoi cette soudaine obstination? En quoi, ce code de la communication si mal construit est-il vital pour la nation? Ne pourrions-nous pas prendre le temps de mieux le réfléchir pour qu’il devienne plus consensuel et exemplaire?

Il n’a rien d’urgent. Il ne résoudra rien à la bonne gouvernance ni au quotidien des Malgaches. Il ne créera pas d’emploi ni de relance économique. Il ne construit pas de route ni d’infrastructure. Il ne permet d’améliorer le service de la Jirama de façon durable et donc de permettre à tous d’avoir accès à l’électricité sans délestage.

Ce code crée au contraire des inégalités, des castes protégées. Il est clivant et oppose des intérêts en opposant donc des Malgaches contre d’autres. Pour publier une photo ou un poème, il faudrait demander une autorisation à une nouvelle autorité? La TVM-RNM aurait seule le droit à une diffusion nationale? Les journalistes ne pourraient plus rendre compte de grandes décisions en cours de discussion qui engage la nation, supprimant ainsi le droit au débat démocratique… La diffamation envers des institutions ou officielle bénéficierait de peines extrêmement lourdes en comparaison de celles pour un simple citoyen. Personne n’aurait le droit de critiquer une fête nationale?… Et bien d’autres aberrations dissimuler dans les lignes de ce code qui vont sérieusement muselé tout citoyen ou handicaper fortement tout le développement des médias dans l’île. Qu’y a-t-il de si urgent à cela qu’il faille absolument, et coûte que coûte, l’adopter immédiatement.

Le président, le HVM et consorts redoutent-il des médias et un peuple hostiles quand le monde regardera Madagascar lors de ce 16e Sommet de la Francophonie au point qu’ils veuillent imposer un black-out? Est-ce une volonté de faire taire tout débat lors de la campagne présidentielle qui suivra? Si c’est le cas, le calcul paraît bien mal choisi et risque au contraire de cristalliser les tensions.

Préférer la concertation et suspendre ce code serait la meilleure des solutions, car, s’il est adopté, les condamnations conséquentes deviendront autant de vagues de mécontentements et d’indignations, de condamnations tant nationale qu’internationale. L’État de droit, n’est pas un état de lois, mais un État qui s’engage pour défendre les intérêts d’un peuple qui a confiance en ses institutions. Il implique donc un devoir d’exemplarité et de justice.

Tags code de la communication, , HVM, , , Sommet de la Francophonie

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