Loi sur la cybercriminalité : ce que vous ne pourrez plus faire.

Madagascar Loi sur la Cybercriminalité
C’est passé totalement inaperçu, mais le 19 juin 2014 l’Assemblée Nationale votait la loi sur la lutte contre la cybercriminalité. Cette loi fait le buzz sur le web suite à la récente libéralisation des deux journalistes en préventive pour diffamation. Le lien : la pénalisation de la diffamation et son article 20. Nos gouvernants veulent-ils museler le web malgache, ou simplement remettre de l’ordre dans un espace de non-loi inacceptable ?

Ici, le texte de loi complet en pdf pour téléchargement : Loi-n°2014-006_fr

 

Lutte contre la cybercriminalité ?

Amateurs des plaisirs d’internet, nous voilà tout prêts à brandir les étendards de la liberté d’expression sur le mode « mais qu’est-ce que c’est ? On veut nous empêcher de nous exprimer… ». Ne nous affolons pas. Les lois ont du bon. À la base, elles sont là pour protéger le citoyen. Selon son « exposé des motifs », cette loi concerne : « toutes les infractions pénales susceptibles de se commettre sur ou au moyen d’un système informatique généralement connecté à un réseau ». Elle contient quarante-et-un articles. Elle est divisée en trois chapitres.

  • Les délits relatifs aux systèmes d’information (pour faire simple, si quelqu’un vient détruire votre ordinateur).
  • Les atteintes aux personnes physiques par le biais d’un système d’information. Si le fond paraît juste à chacun, c’est dans ce chapitre qu’apparaît le fameux article 20 condamnant à la prison et amende les auteurs de diffamation. Ce qui nous renvoie à l’emprisonnement des journalistes de Madagascar Matin.

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  • Des opérateurs et prestataires de services chargés de l’exploitation des réseaux et des services de télécommunication ou de communications électroniques. En gros, tous les services ou sociétés qui s’occupent de prêt ou de loin d’internet peuvent être inquiétés. À ce stade, nous aurions besoin d’un expert juridique, mais cela voudrait inclure : les opérateurs fournisseurs d’accès internet, les cybercafés ou les sites internet constitués en société… (??)

L’origine de la loi.

Nous avons pu joindre rapidement un député. Il nous explique brièvement que : la loi a été présentée par le ministre en charge de la lutte contre le terrorisme. Qu’à aucun moment, les députés n’ont eu à la lire, ni à l’écouter, ni à la discuter que le point évoqué (nous parlions de l’article 20). « La majorité artificielle à l’Assemblée quoi qu’on fasse ou qu’on dise l’aurait adopté. De toute façon ils étaient 101 avec Jean Max. Mais, ce jour, l’exposé du ministre était axé uniquement contre la criminalité terroriste sur le net, à la demande des bailleurs de fond, pour que Madagascar puisse intégrer le groupe de pays qui signé cette charte ». Il ajoute qu’il y a eu « tromperie sur la marchandise ».

Ce que vous ne pourrez plus faire.

… si vous en étiez tenté :)

Sur le fond, beaucoup de choses qui répondent à une société moderne qui gravite autour du net. Bien sûr, on se demande toujours pourquoi les législateurs du monde pensent toujours à la répression et s’y appliquent, plutôt que de favoriser l’accès au web, notamment aux populations défavorisées, ou à enfin autoriser l’e-commerce à Madagascar. Ce dernier point fondamentale serait un vecteur de développement important et de création d’emplois. Le monde est ainsi fait. L’Homme, quand il légifère, pense toujours qu’il faut d’abord se protéger. Ceci dit, l’essentielle de la loi est plutôt bonne.

Avec le premier chapitre, le ministre s’attaque aux dommages causés à des données informatiques sous forme de piratage ou hacking. Toujours sous réserve d’une confirmation par un juriste, la compréhension que l’on donne du texte tend à protéger les systèmes d’information et les données informatiques. Un hacker qui piraterait votre site internet par exemple pourrait être poursuivi et encourir jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Mais également quelqu’un qui piraterait votre ordinateur, ou quelqu’un qui, dans une entreprise pourrait causer des dommages intentionnels dans les bases de données de l’entreprise par exemple.

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Il est vrai que sur le principe, c’est une bonne chose. Enfin, nous aurons un recours. Reste à savoir comment appliquer la loi ? Comment prouver que quelqu’un s’est bien introduit dans un système ou dans vos données ? Et surtout, comment trouver le coupable ?

Attention tout de même aux dérives. D’une certaine manière, si quelqu’un efface une photo sur votre GSM, il pourrait être poursuivi !

Pourra-t-on poursuivre la Jirama parce qu’elle aura endommagée nos données informatiques à cause des coupures ou surtensions ? À priori, non. Il faudra prouver qu’elle l’a fait « frauduleusement »;)

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Si quelqu’un intercepte vos données durant un transfert via Bluetooth ou Wifi par exemple, il peut être condamné.

Selon l’article 13. Là encore, il ne va pas être simple de le prouver, mais il était utile de le préciser.

Formater les clés USB que l’on vous donnerait.

Attention à tous supports informatiques que l’on vous offrirait. Les clés USB sont typiquement des supports qui passent de poches en poches, même s’il n’y a pas réellement intention de la voler. Avec l’article 14, le fait de détenir des données volées peut être condamné. Contrôler donc toujours les supports que l’on vous donne, et noter bien la personne qui vous la donne.

Vol ou divulgation de mot de passe condamné.

Voilà un point intéressant. Vous donnez, pour vous simplifier la vie, un accès par mot de passe à un collaborateur. Celui-ci donne ce mot de passe ou code d’accès à une tierce personne qui utilise ce dernier pour s’introduite dans vos systèmes : il tombe sous le coup de la loi. Attention mesdames et messieurs les webmasters. Si on vous confie un accès, vous devez le garder pour vous impérativement.

Jusqu’à 10 ans de prison et 100 000 000 Ariary d’amende pour suppression de données informatiques.

Chaud pour celui qui détruirait un disque dur ! Mais ceci nous connecte avec la modernité : les données informatiques ont parfois bien plus de valeurs qu’un meuble ou un bijou. Attention donc aux crises de nerfs entre couples sur le mode petite vengeance lâche, ça peut couter cher. Attention aussi messieurs les voleurs : il vaut peut-être mieux volé une TV ou un GSM que de prendre un disque dur ou un ordi ! Par voie de conséquence : attention à ceux qui achètent du matériel informatique d’occasion, dont la provenance n’est pas très claire.

Le chapitre 2 : celui qui fait mal.

Les atteintes aux personnes physiques par le biais d’un système d’information. Là aussi, à la base certainement de bonnes intentions pour protéger les individus, mais… Ce fameux article 20 qui fait scandale au vu de l’actualité récente. Et ça commence fort.

La peine de mort et la déportation encore valable à Madagascar ?

Cet article 16 est long et alambiqué, comme seul savent les faire les hommes de loi. Il faut le lire plusieurs fois pour bien le comprendre. Mais une chose nous saute aux yeux immédiatement : « tout autre attentat contre les personnes qui serait punissable de la peine de la mort, des travaux forcés à perpétuité ou de la déportation » !? on se croirait au 19è siècle dans un roman type Jean Valjean-Les Misérables. Comment !? La peine de mort, les travaux forcés à perpétuité ou la déportation sont encore des peines applicables à Madagascar ? Mais, on n’aurait pas plutôt mieux fait de commencer par là : réformer définitivement ces peines d’un autre temps ?

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Menaces de morts : 2 à 5 ans de prison.

Sur le fond, une fois de plus, être victime d’une menace de mort n’est pas un must. Ce qui est flou par contre, c’est la notion d‘ « image, symbole ou emblème » ?? Attention à l’humour ironique et aux montages Photoshop un peu rapide. Une croix en feu, par exemple, pour exprimer un mécontentement face à l’expression d’un mouvement religion sur une sujet d’actualité, pourrait être prise comme une menace de mort, en référence au Ku Klux Klan qui brûlait les noirs sur des croix. Les deux doigts pointés vers la photo d’un homme politique, façon « rappeur rebelle » peuvent être considéré comme une menace de mort. Reste cependant à clarifier la phrase « dans le cas où la menace aura été faite avec ordre de déposer une somme d’argent dans un lieu indiqué, ou de remplir toute autre condition » ??... Cela vaudrait dire qu’il faut caractérisé l’intention par la preuve quelle est conditionnée ? Si oui, cela vous permettrait quand même de pouvoir délirer librement, toujours sous réserve d’un point de vue expert.

Attention aux menaces contre une ethnie ou une religion.

L’article 18 précise que cette notion de menace d’attentat contre les personnes concernent aussi celles faîtes en raison d’une origine, du sexe, de l’appartenance à une ethnie, une race ou une religion…

Jusqu’à 10 ans pour usurpation d’identité.

L’article 19 pose le problème essentiel de l’usurpation d’identité. Se faire passer pour un autre (personne physique ou société) sera condamnable. Attention donc à ceux qui sont tentés de pirater des comptes de réseaux sociaux ou des sites internet. Ça va faire mal.

L’article 20 : l’article qui jette le trouble.

Si l’ensemble des articles semblent en grande partie fondés, et très certainement copier-coller de la charte internationale, ce dernier semble tout droit dicté pour protéger l’image de nos gouvernants. On y sent clairement un ras-le-bol d’être traîné dans la boue sur le net et une volonté marquée de mettre fin à ces agissements. Sur le fond, comme déjà expliqué lors de nos articles sur la liberté de la presse, il est parfaitement normal de vouloir préserver l’intégrité de tous. Raz-le-pompon de voir toutes sortes d’affirmations incendiaires polluées les forums, réseaux sociaux et autres commentaires ou articles pas très tendres sur des sites qui, parfois, sont limites de l’appel au soulèvement populaire dans leur propos. Ces agissements irresponsables peuvent être dangereux pour des personnes, voir pour la nation.

Là où le bas blesse, dans un premier temps, c’est la condamnation pour injure ou diffamation : deux ans à cinq ans d’emprisonnement et une amende de 2 M à 100 000 000 Ariary ! Nous l’avons vu avec la liberté de la presse récemment. Maintenant ceux sont les libertés individuelles qui sont en cause. Car, ne l’oublions pas : où commence l’injure ou la diffamation ? Toute opposition à un gouvernement qui critique de manière forte une action politique peut être taxée de diffamation. Tout individu qui critiquerait ouvertement un ministre par exemple pourrait tomber sous le coup de la loi. Là aussi, il va falloir être précis sur la forme et le fond : la diffamation (propos portant atteinte à l’honneur d’une personne physique ou morale) et l’accusation. Juge-t-on le fait que quelqu’un à porter un préjudice en affirmant quelque chose, ou doit-on démontrer que la chose dite est vrai ou pas ? Pour mieux comprendre un exemple : si quelqu’un accuse un ministre de corruption, il y a diffamation. Ses propos portent atteintes au ministre concerné. Mais, va-t-on enquêter sur le fait que ce ministre soit ou non réellement corrompu ?

Dans ce cadre, par exemple, un blogueur ne pourra plus affirmer que les policiers sont corrompus en exprimant sont raz-le-bol d’être arrêter dans la rue par eux, uniquement dans le but de lui prendre un peu d’argent. Il risque jusqu’à 5 ans de prison et 100 000 000 Ariary d’amende. La double peine :)

Article 20 : la prison, et une justice à deux vitesses.

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Par contre, bien entendu, que des gens mal intentionnés colportent toutes sortes de rumeurs non vérifiées et qui portent atteinte à l’honneur, c’est évidemment condamnable. C’est le principe de base de la notion de diffamation. On ne peut pas laisser dire tout et n’importe quoi. Parfois, des vies ou des familles innocentes sont en jeu. Le problème est la peine de prison. Les États-Unis ont rappelé les directives de l’ONU à propos de la liberté de la presse, considérant que cela relève du civil et non du pénal. Donc, ne peut logiquement être condamné que par des amendes et droits de réponse. Pas par de la prison.

Autre fait troublant : la différenciation énorme entre les peines encourues pour des injures vis-à-vis des instituions de l’état ou de leur représentant, et celles risquées lorsque l’on porte atteinte à un particulier. Prison : on passe de 2 ans dans le premier cas, à 6 mois pour les particuliers ; de 100 000 000 Ariary à 10 000 000 d’amende. Les personnages de l’État seraient-ils plus important que le commun des mortels ? En tout cas, si vous vous attaquez à un fonctionnaire, prenez la précaution de préciser que c’est à sa personne, et non à son poste ou l’institution qu’il représente, que vous en voulez.

On notera aussi la notion de provocation réservée aux particuliers. Autrement dit, si un représentant des forces de l’ordre vous menace de vous embarquez au poste dans le but d’obtenir un « cadeau », ne soyez pas grossier à son propos sur votre blog ou réseau social. Vous ne pourrez pas vous défendre en invoquant la provocation.

Ne partagez plus d’infos qui minimisent ou justifient des génocides ou crimes contre l’humanité.

Ça tombe sous le sens. Les petits rigolos négationnistes ou qui justifient des actes odieux seront sanctionnés. Une bonne chose. On s’étonnera plus du ratio des peines, comparativement à une injure envers un agent de l’État.

Out ! la pédopornographie. Protection des mineurs.

Ce type de pervers n’a qu’à bien se tenir, même si, à priori, la peine d’emprisonnement ne changera rien à ce genre de pulsion. L’obligation de soin et de suivi pourrait être plus efficace. Évidemment, les sites ou blogs qui diffusent ces images sont condamnables.

Un très bon point pour la protection des mineurs.

Les sites pornographiques interdits ?

L’article 25 est quelque peu étonnant puisqu’il met dans le même sac la violence, la xénophobie, le racisme et la pornographie. Voir, montrer ou faire commerce de photos à caractère pornographique (adultes) seraient du même ordre que la diffusion d’actes de violence ou raciste. L’article prend soin de préciser toutefois que cela n’est condamnable que lorsqu’un mineur peut les voir.

Arrêt des photos violentes ou pornographiques sur le net.

Toujours l’article 25. Y-a du bon et du moins bon. Du bon  : il faut le dire, il y en a marre, quand on est tranquillement en train de passer un moment sur notre mur Facebook par exemple, de voir défiler des photos ultra-violentes (morts, cadavres, blessés graves, accidents de la route sanguinolents…) et surtout, des images porno (gros plan de « bites » et « chattes » en tout genre). D’abord, on n’a pas forcément envie de voir cela. Ensuite, parce que l’on peut être accompagné d’un mineur, d’un enfant à ce moment précis. Franchement, par moment, ces gens qui diffusent tout et n’importe quoi sans pudeur et en ayant l’impression de faire un scoop, c’est nul.

Cependant, pourra-t-on être attaqué si l’on diffuse des images d’une répression par exemple ? À priori oui, si un mineur peut les voir.

Chapitre 3 : les sociétés.

Ce chapitre est plus complexe juridiquement. Nous ne rentrerons donc pas dans le détail pour l’instant. Pour simplifier ces articles posent la responsabilité les « personnes morales « , autrement dit des services ou sociétés qui s’occupent d’une quelconque manière d’internet, de réseaux informatiques. Cela inclurait donc : les opérateurs internet classiques (Telma, Orange, Airtel), mais aussi toute la chaîne de diffusion, du site d’actualité ou e-commerce par exemple jusqu’au cyber café. En fait, l’intitulé n’est pas très clair pour des non-professionnels des subtilités juridiques. À l’occasion, nous nous ferons aider pour mieux expliquer.

Cette première lecture de cette loi reste sous réserve d’une confirmation par une autorité juridique. Bien évidemment, notre rôle d’information ne suppose pas notre maîtrise des méandres législatives. Si une erreur de compréhension ou d’interprétation est faîte, nous nous en excusons et publierons un erratum dès qu’on en aura confirmation. En tant qu’acteur du web, nous sommes concernés en premier lieu. Par ailleurs, puisque vous nous lisez, c’est que cela peut aussi vous concerner. C’est avec cette volonté d’information que nous faisons cet article.

D’un certaine manière, il s’agit bien d’une révolution des mentalités dans notre pays vis-à-vis du web. Il faudra désormais faire attention, et sur bien des points, c’est tant mieux. Nous resterons toutefois vigilants sur cet article 20.
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