Interview de Rijasolo, photo-journaliste à Madagascar
à l’occasion de la sortie du livre photo
« Madagascar Nocturnes ».
– Vous êtes né en France en 1973. Pouvez-vous nous dire où et qu’est-ce qui a emmené vos parents à s’installer en France ?
Ah. Vaste question. Sans pour autant raconter toute ma vie, je suis né à Strasbourg en Alsace. Mon père est installé en France depuis 1966. Il est venu à Paris pour faire des études en théologie. Il a terminé ses études et a fait venir ma mère en France. Ils se sont mariés là-bas. Il n’était pas dans leur intention de rester en France. Ils souhaitaient juste faire naître l’ainée, … Moi, et revenir à Madagascar. Mais, au début des années Ratsiraka, on leur a dit que c’était une très mauvaise idée de rentrer au pays compte tenu de l’état du pays à l’époque. Ils se sont donc résignés à rester. Ils avaient refusé la nationalité française qu’on leur offrait, mais ont fini par la prendre par sécurité, et sont restés là-bas.
– En 2006, vous suivez une formation de photo-journalisme à Paris. Mais dès 2004, vous mettez en place un atelier photo pour les jeunes à Diego. D’où vient cette passion pour la photo ? Et quel parcours vous a mené à choisir ce métier ?
En fait, c’est un peu tombé comme cela par hasard. J’ai toujours eu depuis le collège des affinités avec l’image. Je dessine aussi. J’avais même préparé le concours de l’école de bande-dessinée d’Angoulême. Préparé, mais pas passé 😉 J’ai fait un peu de musique. Et un jour, je me suis posé en Bretagne pour des raisons professionnelles en 1999. J’avais un peu d’argent et j’ai décidé de faire un peu de photo. Juste une envie d’essayer cette forme d’expression artistique. De fil en aiguille, je me suis acheté un labo, les bonnes pellicules, les produits pour développer, et tirer moi-même mes photos sur papier, et c’est devenu comme un rituel quotidien : il me fallait ma dose de photos à prendre par jour et les développer la nuit.
C’est comme cela qu’un jour, je suis rentré à l’école de photo-journalisme. Ce n’est pas une école de photographie. Les gens qui rentraient dans cette école avaient déjà un background de photo. C’est avant tout une formation de photo-journalisme. C’est-à-dire apprendre à raconter des histoires avec des photos. Je suis donc en fait complètement autodidacte.
J’ai eu la chance de rencontrer des gens qui m’ont donné envie de faire de la photo. Comme Klavdij Sluban, un photographe slovène qui a fait tout un travail sur les Balkans. Ces gens ont su me donner les petites phrases qui m’ont permis de savoir si j’étais sur la bonne voie.
Pour Diego, cela faisait vingt ans que je n’étais pas revenu à Madagascar. Le Conseil Général du Finistère était en coopération décentralisée avec la région de Diego. C’est eux qui m’ont proposé de monter un atelier avec l’Alliance Française. À l’époque, Nicolas Fargues, l’écrivain était directeur de l’alliance à Diego. On a sympathisé et j’ai monté ce projet avec ma compagne de l’époque. Pendant un mois, on a donné des cours de photos aux jeunes de Diego. On leur avait acheté des compacts jetables et on leur demandait de photographier leur vie quotidienne.
Il n’y a pas vraiment eu de vocation à ma connaissance, née de cette expérience, mais par exemple, il y a quelques années, j’étais à Mahajanga et j’ai croisé une jeune femme du cours. Elle est venue me voir sur la Corniche et m’a interpellé : » je suis Diana – je crois qu’elle s’appelle comme cela – vous m’avez donné des cours et je pense toujours à vos conseils quand je fais des photos… » Ça fait plaisir à entendre.
– En 2007, vous suivez pour l’agence Wostok Press, la campagne présidentielle qui a mené Sarkozy au pouvoir ? Quels sont vos souvenirs marquant de cette aventure ?
En fait à cette époque, je m’étais surtout concentré sur la campagne de Jean-Marie Le Pen et Olivier Besancenot. J’avais choisi de faire les deux extrêmes. Je voulais vraiment dresser un portrait électoral de ces deux extrêmes complètement antagonistes, aux antipodes de leur réflexion politique, mais au final, on se rend compte qu’ils utilisent tous les mêmes codes.
– Une anecdote concernant cette expérience ?
Je suis foncièrement de gauche, mais je me suis senti plus à l’aise dans les meetings de Jean-Marie Le Pen, professionnellement parlant, que dans ceux de Besancenot. J’ai eu beaucoup moins de difficulté à photographier dans les meetings de Le Pen et à le suivre au jour le jour, que de suivre Besancenot. C’est très difficile de suivre Olivier Besancenot parce que ces gardes du corps sont de vraies têtes de cons. Vraiment. Du côté Le Pen, j’ai failli me faire agresser par des mecs d’un groupe d’extrême droite,… Les nazillons qui viennent d’être démantelés… Mais ce n’était pas ma couleur de peau qui était l’objet de l’engueulade, c’était parce que j’étais un journaliste. Ambiance : « ouais, les médias vous êtes tous des collabos des Juifs… » Je me suis pris une canette de bière dans la gueule.
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– En novembre 2007, vous vous associez avec quatre photo-journalistes pour fonder l’agence Riva Press. Qu’en est-il de votre rapport à Riva Press depuis votre retour à Madagascar ?
En fait avec Riva Press, on est toujours sur la place. On gagne de plus en plus de notoriété vis-à-vis des professionnels de l’image. Le fait d’être à Madagascar n’a pas du tout été un problème. Au contraire, ça a été une chance pour Riva Press. On a un correspondant à Madrid aussi. Un correspondant à Jérusalem. Moi, je suis ici à Mada. Ça nous donne une sorte d’aura, genre « agence internationale ».
Ce qu’on met sur le site de riva press, c’est nos plus belles productions. La phase cachée de l’Iceberg, c’est… euhh… En fait, si vous voulez, moi je suis correspondant pour Jeune Afrique. Ils m’envoient des commandes sur des sujets politiques. Mais mes revenus ne viennent pas de la presse à Madagascar. On va dire que 40% de mes revenus viennent de la presse.
Riva Press, c’est un truc qu’on a créé avec ces quatre potes ici de la même école de journaliste que moi. Et Riva Press est beaucoup plus connu que nous individuellement. Quand je téléphone à une rédaction, … On connaît leur façon d’accueillir les jeunes pigistes dans les rédactions en France… Quand je téléphone et que je dis « bonjour, je m’appelle Rijasolo,… j’suis photographe à Mada... »… je dois faire face à des réponses évasives, genre « ah oui d’accord… Connais pas… et donc… qu’est-ce qui se passe ?… » … dès que je réponds « en fait, je suis membre du collectif Riva Press« … immédiatement ils changent de ton « ah oui… Riva Press… oui d’accord, je vous écoute…« . C’est caricatural mais c’est vraiment comme cela. On me demanderait presque « ah oui ? Mais ils vous ont recruté… Comment vous avez fait ? »
Riva Press collabore avec la presse française, allemande, américaine… Moi je bosse beaucoup avec Jeune Afrique. De temps en temps, il m’arrive de travailler pour Libé. J’ai fait un reportage pour Le Monde dernièrement sur les femmes de ménage qui partent travailler au Koweït. Et certaines images partent dans des banques d’images de vente en ligne, réservées aux professionnels… Et c’est comme cela qu’on vend notre production.
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– Rentrons dans le vif du sujet avec un thème cher aux photographes : la rivalité noir & blanc VS couleur. Vos reportages avec Riva Press sont en couleurs. Mais on note une présence puissante du noir, comme pour faire mieux surgir la lumière. Pour certains, vous semblez retourner à une vision plus classique de la photo artistique avec du noir & blanc uniquement. C’est imposé par l’éditeur, ou c’est un vrai choix personnel ? Quel est, de ces deux univers celui qui vous paraît le plus correspondre à votre expression ?
Ben, le livre Madagascar Nocturnes est un retour à mes origines de photographe. J’ai commencé la photo en noir & blanc, en labo, avec des photos très denses. Je ne travaille en couleur que depuis que je suis photo-journaliste parce que c’est une exigence de la presse. Madagascar Nocturnes, c’est vraiment mon feeling à moi. Le noir & blanc, du flou, du grain… Des photos un peu mal cadrées, un peu incompréhensible comme ça… Des photos qui sortent des tripes. Pas de l’illustration forcément, mais un truc qui vient de moi. Mon instinct. Ma maison d’édition m’a fait plaisir en me demandant de travailler sur une compilation des photos de nuit. Parce que je photographie Madagascar la nuit depuis 2004. Parce que je sors beaucoup la nuit, je suis un fêtard… un noctambule… je ne sais pas si c’est bien ou pas, mais en tout cas, je ne dors pas avant 3h00 du matin et… en fait, il en a résulté de tout cela, de cette vie de noctambule, cette masse de photographie.
– « Madagascar, Nocturnes » votre dernier opus, pose d’abord une interrogation : le terme « nocturne » évoque les courtes pièces pour piano de Chopin et son romantisme puissant ; mais cela peut être aussi associé à une face noire de Madagascar. Ce monde du non-jour et des errances que l’on ne veut pas voir. Quel sens a ce travail ? Qu’êtes-vous allez chercher dans les nuits tananariviennes ?
Ce que je cherche dans les nuits tananariviennes, c’est un peu de moi. Quand la nuit, on est avec son appareil photo dans un endroit un peu bancal, un peu dangereux, … Déjà d’être avec une appareil photo la nuit dans un bar malgache de 67 hectares, ce n’est pas commun. Ce n’est pas normal. On est seul. On se dit « mais, je suis là… mais… euuhhh »… ce qui me pousse à faire de la photo c’est de garder une trace de ma présence à cette endroit-là. De me dire « qu’est-ce qu’il résultera de cette photo que je vais prendre ». L’idée n’est pas de choquer, ou d’avoir une perception noire ou négative. Ce travail-là, c’est mon journal intime. Madagascar Nocturnes, c’est d’abord mon journal intime. Ce n’est pas un travail didactique sur la nuit. Absolument pas la prétention de dire « le mec qui va voir ce travail-là… euhh… à Brest,… Il ne faut pas qu’il se dise que les nuits à Madagascar sont tout le temps comme cela ». Mes nuits à Madagascar sont comme cela.
– Ce travail renvoie à celui d’un autre photographe qui a arpenté les rues de Tana aux heures sombres : Philippe Gaubert partit à la rencontre notamment des travestis il y a quelques années. Chez Gaubert, on percevait la volonté d’illustrer un sujet (au sens noble du terme), chez vous on sent plus une errance… des heures passées dans la nuit urbaine, et des rencontres, des hasards, … Comme une abeille qui butinerait çà et là des coquelicots de lumière. Un travail moins directif, plus passif en quelque sorte. Pensez-vous que le photographe est cantonné au rôle d’observateur ? Ou qu’il fait partie de l’action ?
Dans le cas de Philippe Gaubert avec son travail magnifique qu’il a fait sur les travestis, il était plus dans un mode observateur. Mais en même temps, je crois qu’il y a de lui. Ce sont ces photos. Il a sa perception à lui. Et en même temps, il se pose des questions sur… euhh… je sais pas… je ne connais pas le pourquoi de ce sujet-là… Pourquoi les travestis. Il y a l’idée de faire un travail journalistique, documentaire plutôt. Mais peut être que pour lui… je ne veux pas m’avancer trop mais… Dans l’idée de faire ce sujet-là, c’est que lui-même connais des travestis, et qu’il a envie de comprendre pourquoi. Il se posait certainement des questions à lui même en faisant ce sujet. Pourquoi ces gens-là décident d’être travesti ? Pourquoi ces gens sont en souffrance de ne pas pouvoir mettre en avant leur féminité. C’est une question personnelle que l’on se pose d’abord en tant que journaliste. Et on décide d’en faire un sujet, parce qu’on pense que cela peut intéresser le plus grand nombre.
– Quel est votre souvenir le plus extraordinaire de cette quête ?
Il y en a des tas. Une des anecdotes les plus marquantes, et qui est encore d’actualité, c’est qu’à un moment donné, à trois heures du matin, quand on est complètement ivre avec un appareil photo… euhh… faire des photos quand on est ivre, c’est un peu comme vouloir conduire une voiture quand on est ivre. On fait semblant d’être content de ce qu’on fait. Mais même ivre, on peut faire des photos. Mais ce n’est pas pour cela qu’elles sont floues.
Il y a une des photos du livre, photo assez floue où on voit un mec assis sur sa chaise, complètement dans les vap’. Il y a deux mecs autour de lui. En fait, ils sont en train de lui faire les poches. Le mec est complètement inconscient. Et les mecs lui font les poches. Moi, j’arrive derrière… ivre… et je crois pouvoir me permettre de faire une photo… et ben non! j’ai fait la photo… Mais ce qui s’est passé, c’est que je me suis fait quasiment cassé la gueule par ces types. Il ont voulu me piquer mon appareil, le Leica à l’époque,… Ça a failli terminer en bagarre générale avec le patron que je connaissais qui nous a séparés…
Et, des anecdotes… Y-a en tellement… En même temps, je n’ai pas beaucoup de mémoire des évènements. C’est pour cela que je fais des photos.
– Revenons à un point de vue plus technique : le noir est toujours là, mais la nuit vous a amené à conquérir le flou, à jouer avec, et faire surgir le grain. C’est une évolution du style Rijasolo, ou une obligation technique due aux faibles conditions de luminosité ?
Non. Ça a toujours été ma cam. On ne fait pas toujours exprès de faire des photos floues. Il y a des exigences techniques. Il est vrai qu’à 1/15 de secondes, on est forcément flou. Ce qui est important, c’est qu’au final, entre la photo nette et la photo floue, je choisirais toujours la photo floue qui correspond mieux à ces ambiances alcoolisées dans les bars. Ces photos transpirent ma personnalité, mon point de vue, mon ressenti. Je ne vais pas non plus tombé dans le travers : » c’est flou donc c’est artistique ». Non, ce n’est pas ça. C’est aussi un trait de ma personnalité. Se dire, tient voilà une photo qui est datée, dans un lieu déterminé, mais elle est floue. Il y a une sorte d’onirisme qui doit faire voyager les gens.
– Pour ces prises de vue, on vous imagine mal vous promener dans les rues de Tana avec un 5D ou pire, le bon vieux Rolleiflex. Ces images ont-elles été prises uniquement avec le Leica M8 ?
En majorité, elles ont été prises avec le M8. Quelques photos en argentique avec le M6. Les dernières photos, de l’année dernière, avec le 5D, mais il est vrai, pas dans des endroits aussi risqués où je me baladais avec le M8. Après, tout est une question d’attitude. On est autant agresseur avec un gros 5D qu’avec un M8. Tout est dans l’attitude du photographe envers les gens.
– À l’air du numérique, la photo se construit pour moitié sur le terrain, et pour le reste devant l’écran d’un ordi. Recadrages, traitements des couleurs,… Photoshop et autre Aperture… On a parfois l’impression chez les jeunes photographes, qu’il est plus important d’avoir une copie pirate de Lightroom, plutôt que d’aller au contact avec le sujet. Quels conseils donneriez-vous à ces conquistadors du pixel ?
Oui, il faut arrêter de se prendre la tête sur qui a le meilleur matos ? Qui a le meilleur logiciel dernier cri ?… On ne se concentre pas assez sur le sujet. Sur « pourquoi je prend cette photo ? », « qu’elle est la photo qui va me représenter ? »; bon, évidemment, j’ai un M8 et beaucoup rêveraient d’en avoir un. Mais j’aurais fait la même chose si j’avais eu un Holga argentique. Le matériel, c’est comme le stylo de l’écrivain : ça serre juste à écrire.
J’aurais simplement envie de dire aux jeunes qui se lancent dans la photo : éduquer votre œil d’abord, acheter des livres, regarder des photos. Regarder les grands-maîtres. Dès qu’il y a une expo photo, allez-y. Remettez-vous-en question tous les jours.
Ce qui me gêne un peu avec l’ère numérique, c’est que les jeunes, ils savent exposer une photo, contrôler la profondeur de champ, et basta ! « Ça y est… J’suis un photographe« . !!
– De votre côté, vous occupez-vous vous-même de la retouche numérique ? Et quels logiciels et quelles techniques principales utilisez-vous ?
Oui, je traite mes images comme tout le monde. Ce n’est pas condamnable. 50% d’une photo tient effectivement dans sa post-production. C’est super important. C’est comme dans un film. Moi, j’utilise Lightroom. Pas Photoshop. Les logiciels comme Aperture ou Lightroom ont vraiment été conçus pour les photographes et les gens qui avaient l’habitude de travailler en labo. Il y a les mêmes techniques, les mêmes outils. Par contre, je ne suis pas un spécialiste des filtres. Je travaille avec ces logiciels, comme je travaillais à la main, en labo. J’essaie de retrouver mes contrastes, mes densités.
En fait, je n’ai pas de secret. C’est juste que, quand je traite mes images en noir & blanc, j’essaie de faire comme nous ont appris les grands tireurs d’images comme ceux de Salgado ou Raymond Depardon. Le tireur guide l’œil du lecteur dans l’image. Dès fois, je bouche beaucoup les côtés des photos, je ferme l’image en fait, pour que l’œil ne se balade pas, qu’il aille tout de suite à l’essentiel. Même s’il y a plusieurs lectures dans mes photos.
– À Mada, la photo est le sujet à la mode. On voit naître une flopée de jeunes loups de la photo qui s’essaient à tous les genres, en fonction du matériel disponible. Le tout sous l’impulsion de photographe de studio comme Masy qui a montré la voie… Que pensez-vous de cette émulsion ? Est-ce une étoile filante qui brûle de tous ces feux comme une mode passagère ? Un appel lancé par une nouvelle niche aux alouettes motivées par « gagner de l’argent » facilement et rapidement (on le voit surtout dans la photographie de mariage) ? Ou un véritable engouement profond pour l’image, et un magnifique bouillon de culture de talents malgaches qui feront peut-être école demain avec la naissance d’un mouvement malgache de l’image ?
Je pense que dans la majorité, il y a quand même des gens passionnés. C’est quand même génial d’avoir accès enfin à cet art-là, grâce au numérique. Il y a de très bons professionnels qui ont leur technique, leur façon de faire. On peut toujours dire « ça ressemble à ce qui a déjà été fait ». Mais ce n’est pas grave. Les mecs s’épanouissent dans leur art, dans leur métier. Je crois qu’il y en a qui en vivent très bien. Quoiqu’on en dise, on n’est pas nombreux à Mada, mais on est, on va dire 5 ou 6 à en vivre correctement.
Je pense qu’il y a une vraie passion. Ce n’est pas uniquement pour l’argent. Après ce qui manque, c’est qu’il ne faut pas rester sur ces acquis. La technique, c’est rien. J’ai vu des expos faîtes avec un appareil jetable, obturée tout le temps à 1/125è, et les photos sont magnifiques. C’est une œuvre. Il faudrait juste éviter que tous ces photographes malgaches soient des clones, de clones, de clones… Il faudrait que, parmi ces gens-là, il y en ait qui invente quelque chose. Quelque chose qui tue les maîtres.
– Qui vous semble émerger dans ce formidable élan pour la photo à Mada ?
Oui. Je pense à Solofo Tinah du collectif OXIGEN NIOUZ. Un très bon photographe. Message pour lui… On a exposé ensemble à Lagos… il est très bon, mais j’aimerais bien qu’il avance lui, dans ce qu’il aime faire lui. Le corporate, c’est bien. Ça fait vivre, mais y-a pas que ça. Solofo Tinah, c’est un mec que j’aime beaucoup. Et je pense à Parany, c’est un photographe qui a une production photographique énorme qui mériterait d’être mieux exposé. Il mériterait une édition. Il a un travail intime sur sa vision de Madagascar. Avec une façon de cadrer toujours avec la même focale 50 millimètres, sans pour autant chercher à plaire aux gens. C’est ça qui est important. On ne fait pas de l’art pour plaire au gens.
– L’histoire de l’art malgache n’est pas marquée par la représentativité. On est plutôt dans l’abstraction, le concept et le motif géométrique. Des formes simples qui se répètent presqu’à l’infini. Par contre, la culture traditionnelle fait une grande place au souvenir. Pensez-vous que la photographie malgache s’inscrira plus dans la trace, le souvenir, que l’esthétisme ? Autre grand débat de la photo : la photo, c’est le sujet ou le photographe ?…
Oui, grande question. Quand on regarde les grands photographes africains, ce sont souvent des photographes de souvenir. C’est comme cela qu’ils ont gagné leur vie et c’est comme cela que la photographie malienne à émerger. Le premier objectif de l’appareil photographique était d’enregistrer un moment qui servira plusieurs années plus tard. Notamment aux historiens. Maintenant, en photo, on est plus dans une recherche d’esthétisme.
En fait, quand je vois les photographes malgaches, ils ont envie d’être aussi célèbre que les musiciens malgaches. Avec tout le respect que j’ai pour Pierrot, j’aimerais bien qu’ils se disent, « ouais, mais y-a pas que Pierrot Men« .
Pour l’instant, il est trop tôt pour le dire. On n’a pas d’identité photographique malgache. Je ne sais pas vraiment vers quoi on va s’avancer. Je sais que des identités vont émerger, mais je ne sais pas comment.
– Pour revenir sur cette question du beau pris sous l’angle de l’action prise en photo par opposition à l’acte photographique, une chose m’a toujours fascinée : ici, si on prend des photos de personne ; le Malgache pris en photo vous dit « donnes-moi Ma photo ». En occident, on parlera plus « d’une photo de moi », prenant en compte l’importance de l’auteur ; la photo appartient au photographe, pas à la personne prise en photo, en occident. Votre démarche correspond plus à des instants « volés » ou à de simples fenêtres ouvertes sur le monde ?
Moi, j’suis quand même, à cinquante / cinquante… j’ai une culture occidentale. Si j’ai bien compris la question, je serai plus un voleur d’image. Je serais plus à ne pas demander l’autorisation. À me dire que justement, je suis propriétaire de la photo et par conséquent, propriétaire de l’image de la personne que je viens de prendre. C’est un grand débat. Je pense que les gens veulent s’approprier leur photo, mais c’est surtout parce que c’est un objet rare. Avoir une photo de soit, c’est mieux qu’un miroir. C’est important pour les gens à la campagne d’avoir une image de soit, mais intemporelle. Le but de cette photo, c’est d’avoir une photo de « moi, il y a 5 ans »… Ce que le miroir n’est pas capable de faire.
Ça m’est arrivé de revenir donné des tirages à des gens que j’ai pris en photo. Mais, pour moi dans l’absolu, les professionnelles de l’image, on a le droit et on doit, s’approprier le réel. Le débat est : est-ce qu’on a le droit de le montrer ou pas ? Moi ce qui m’embête à Paris, par exemple, c’est qu’on ne peut plus faire de photo dans la rue. Les gens sont, de suite, agressifs. On a l’impression d’être des délinquants.
– Quels sont vos projets en cours ?
Les projets en cours : attendre qu’il y ait une issue politique à ce gros bordel 🙂 parce qu’on est en crise et c’est difficile de mettre des projets en place. En fonction de ce qu’il va se passer d’ici deux trois ans, je vais essayer de mettre en place des ateliers de photo-journalisme. Un centre de formation en photo-journalisme qui s’adresserait à des jeunes qui ont déjà un bon bagage technique. Partager mes expériences et faire venir des intervenants de l’extérieur.
– Un mot de la fin pour encourager à découvrir votre livre « Madagascar, Nocturnes… ?
Je sens que c’est un livre difficilement abordable pour les Malgaches. C’est assez cru, assez violent. C’est pourtant ce que j’ai vu. J’aimerais que les Malgaches se disent : » moi aussi, je vis cela tous les jours, mais je ne savais pas qu’on pouvait en faire une œuvre ».
Rijasolo sur le web
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