Un geste du gouvernement le 6 juillet en conseil des ministres : selon diverses informations recueillies dans la presse nationale, les peines d’emprisonnement seraient abandonnées dans l’article 20 de la loi sur la cybercriminalité, repris dans l’avant-projet du code de la communication.
On peut y voir un geste de bonne volonté, en conséquence de la mobilisation et l’indignation que suscite cet article – et bien d’autres – dans l’avant-projet de loi dit « code de la communication« . Mais, on peut y voir aussi un recul timide d’un gouvernement qui veut faire passer cette loi coûte que coûte en lâchant un peu de leste. « Paris vaut bien une messe » disait Henri IV pour accéder au trône de la royauté. Mode « Prend 5 000 et tu te tais« .
Une justice ségrégationniste et discriminatoire.
Cet article est inacceptable, car il institutionnalise une justice dont les sanctions sont différentes selon que vous êtes dans une caste particulière protégée, ou que vous êtes un citoyen « normal ». C’est le principe même de justice qui est en cause. Une justice pour les rois et les riches contre une justice pour les gens ordinaires. C’est le principe même de la ségrégation. Une ségrégation sociale.
Cet article 20 n’y va pas de main morte : pour un particulier, l’injure est passible de 10 000 000 d’Ariary maximum ; pour une personne de la « caste protégée« , la sanction s’élève à 100 000 000 d’Ariary d’amende ! Dix fois plus ! Cela place le peuple au niveau où le pensent ces privilégiés : un fonctionnaire ou une personnalité institutionnelle vaudrait dix fois plus qu’un honnête citoyen !?
Un article 20 qui défie les Droits de l’Homme.
En insistant avec cet article liberticide, le gouvernement et les hommes politiques soutenant ce texte bafouent ouvertement les principes des Droits de l’Homme.
Dès l’article 1 de la Déclaration Universelle des droits de l’Homme adoptée aux Nations Unies le 10 décembre 1948 le propos est clair : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » Libre et égaux en droit : il ne peut pas y avoir une justice pour les uns… et une justice pour d’autre. Les droits sont les mêmes pour tous.
L’article 7 de cette même déclaration enfonce le clou : « Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente Déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination. »
L’article 20 crée de fait une discrimination flagrante. Pour rappel, la discrimination désigne l’action de distinguer de façon injuste ou illégitime, comme le fait de séparer un individu ou un groupe social des autres en le traitant moins bien. En protégeant certains groupes sociaux et en donnant des sanctions différentes, cet article 20 met bien en place une justice basée sur la discrimination.
Une justice pour protéger les corrompus ?
Selon Transparency international, Madagascar est classé 128e sur 168 pays pour la perception de la corruption. Cette corruption, dont le président dit avoir fait une priorité au nom de la bonne gouvernance, nous la subissons tous les jours.
Pour un citoyen ordinaire à Madagascar, quand et où avons-nous à subir cette corruption ? Dans les Tribunaux pour ceux qui ont affaire à la justice ; par la police ou les gendarmes sur la route ; presqu’à chaque fois que l’on a besoin d’un papier administratif dans un organisme de la fonction publique. Constatez par vous-même en lisant l’article 20 (voir en bas de ce post) : ce sont exactement les personnes protégées, ceux que l’on ne doit surtout pas mettre en cause sous peine de graves sanctions.
Les journalistes luttent contre cette loi pour son caractère liberticide. On ne pourra plus dénoncer une personnalité du gouvernement ou un parlementaire par exemple, sans risquer de tomber sous le coup de la loi. Chacun comprend très bien que cet article est mis en place pour protéger ces personnalités, par ailleurs souvent mises en cause pour enrichissement personnel grâce au pouvoir que leur confère leur fonction.
Des lois liberticides.
Si la loi contre la cybercriminalité et le code de la communication partent d’une bonne intention et s’appuie sur des volontés fondées de réglementer en protégeant des mineurs par exemple, une simple lecture fait vite apparaître que les politiques et institutions en charge d’écrire ces textes jugent nécessaire de limiter la liberté d’expression et d’entreprendre.
La démocratie a au moins une limite : quand on donne à des citoyens, pas forcément formée à la gouvernance de sociétés complexes, les solutions avancées sont souvent de l’ordre de la répression, appuyée par des peurs personnelles. Protéger plutôt qu’ouvrir. Menacer et sanctionner plutôt que réglementer.
Sortir de l’impasse.
Pour le bien de tous, il semble nécessaire de revoir ces deux textes. Donc, de les suspendre dans un premier temps. Puis de monter des équipes d’experts : politiques, professionnels (et pas uniquement des journalistes qui ne sont pas forcément des experts en communication et pour éviter tout corporatisme ; pas nommer non plus arbitrairement selon un intérêt de copinage ou une convenance politique), représentants de la société civile, entrepreneurs, etc. Lesquels devraient prendre le temps de réfléchir chaque article ou proposition dans le détail et dégager de revendications personnelles ; animés par la seule volonté de construire une nation libre, qui respecte chaque malgache ou résident ou en séjour sur le territoire pour lesquels la loi s’applique, sans discrimination ; une loi juste et valable pour tous ; une loi globale précise qui revoit jusqu’aux règlementations en vigueur dans des domaines particuliers, mais en rapport avec la communication, comme la pornographie, l’alcool, l’utilisation des emails professionnels ou particuliers dans l’entreprise et la protection que chaque employé peut en attendre, les spams, etc, car ces règlements doivent aussi être clarifiés dans cette loi globale à construire.
Ne pas faire des lois pour exclure le danger présumé, mais pour permettre à chacun de vivre et de s’exprimer le mieux possible dans le cadre d’une société libre et respectueuse de ses citoyens. À même pas deux ans de l’élection, les prétendants à la présidence ont tout intérêt à ne pas se mettre à dos le peuple et les médias.
L’article 20 de la loi contre la cybercriminalité.
Extrait de Loi n°2014-006 sur la lutte contre la cybercriminalité. 2014-006 (19 juin 2014) qui ne comporte pas encore le projet de loi décidé en conseil des ministres le 6 juillet 2016.
Art.20.- L’injure ou la diffamation commise envers les Corps constitués, les Cours, les Tribunaux, les Forces Armées nationales ou d’un Etat, les Administrations publiques, les membres du Gouvernement ou de l’Assemblée parlementaire, les fonctionnaires publics, les dépositaires ou agents de l’autorité publique, les citoyens chargés d’un service ou d’un mandat public, temporaire ou permanent, les assesseurs ou les témoins en raison de leurs dépositions, par les moyens de discours, cris ou menaces proférés dans les lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans les lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par le biais d’un support informatique ou électronique, sera punie d’un emprisonnement de deux ans à cinq ans et d’une amende de 2.000.000 Ariary à 100.000.000 Ariary ou l’une de ces peines seulement.
L’injure commise envers les particuliers, par le biais d’un support informatique ou électronique, lorsqu’elle n’aura pas été précédée de provocation, sera punie d’un emprisonnement de six mois à cinq ans et d’une amende de 100 000 Ariary à 10.000.000 Ariary ou l’une de ces peines seulement.
L’injure commise dans les conditions prévues à l’alinéa précédent, envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur handicap, de leur origine, de leur appartenance ou non à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, sera punie d’un emprisonnement de deux ans à dix ans et d’une amende de 2.000.000 Ariary à 100.000.000 Ariary d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement.
En cas de condamnation pour l’un des faits prévus par les deux alinéas précédents, le tribunal pourra en outre ordonner l’affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l’article 50 du Code pénal.