Toujours à l’affût de marquer sa pâte de présidentiable, Roland Ratsiraka, ministre du Tourisme, veut estampiller son ministère d’un nouveau look : nouvelle identité visuelle, nouveau logo, nouvelle couleur, nouveau site web. Ouais… mais… peu mieux faire.
Ratsiraka : un peu mon n’veu.
Sa franchise était appréciable quand il parlait des derniers chiffres officiels du tourisme à Madagascar à peine autour de 244 300 visiteurs, avec des objectifs raisonnables pour essayer, dans un premier temps, de doubler d’ici 3 ans. Il est vrai que les précédents ministres ne donnaient dans l’humilité, osant afficher des objectifs de 1 000 000 de touristes pour la Grande Île en 2020 (dans 3 ans et demi, lol) ! Dans le meilleur des cas donc, nous en serons à la moitié avec Ratsiraka.
Bon point pour sa lucidité à propos du cas Air Mad quand il a osé invoquer la privatisation de la compagnie aérienne nationale comme seule bonne solution pour sortir de l’abîme sans fin auquel Air Madagascar doit faire face depuis des années. Oui, c’est une vraie bonne idée. Qu’attend-t-on pour foncer ?
Il y a plus d’interrogations à l’annonce des 30 000 touristes chinois annoncés. Si le chiffre n’est pas gros, le prix du voyage – 5000 $ – paraît très prohibitif. Les Chinois qui ont les moyens de se payer un tel voyage sont-ils motivés par trois lémuriens, deux baobabs et un romazava ? Pas sûr. Derrière l’ironie facile, une dure réalité : un chinois qui a les moyens et la possibilité de sortir de son pays, est plus motivé par le shopping et les grands monuments européens par exemple.
Mais, reconnaissons à notre ministre, la volonté de faire bouger les lignes.
Logo Toto, logo pas pro.
Par contre, pour cette nouvelle identité graphique, si l’initiative est bonne, le résultat semble plus proche du bad flop : un brun amateur, un mieux, du travail vite fait, limite bâclée.
Le logo : rond, format tampon d’Analakely, année 1990. Un cercle avec écrit à l’intérieur « Ministère du Tourisme ». Ça donne le ton : on vend un ministère, pas un pays. Reste à savoir si les touristes potentiels sont attirés par un pays ou par son administration.
Pour le pays, le ministère marque son territoire avec la fameuse carte éculée de Madagascar que l’on retrouve à toutes les sauces, sur tous les logos institutionnels et bien plus. Communs, sans différentiation et tellement convenus.
Pour le reste, ils n’ont pas non plus misé sur l’originalité et l’innovation : un lémurien et un baobab ! Encore et encore. Posés là comme un cheveu sur la soupe.
Bref, jusque là, on ne sent pas l’accouchement dans la douleur. Si douleur il y a, elle sera plutôt dans la conséquence que dans l’acte.
Un Baobab « piqué » sur Wikipédia : un logo en Creative Commons ?
Le comble du design vient de ce baobab que les services graphiques, en charge de création pour le ministère, n’ont même pas pris la peine de redessiner, comme l’aurait voulu le savoir-faire et l’usage pour la création d’un logotype professionnel. Ils ont simplement et purement détouré le Baobab d’une photo prise sur Wikipédia* ! Une brève enquête de quelques clics sur le web, nous apprend que cette photo a été prise par un chinois passé au pays en 2007.
L’aspect pratique du geste est compréhensible. Cependant, comment penser qu’à Madagascar, nous n’aurions pas les moyens de commander une photo originale de baobab ? Le ministère conçoit l’aspect attractif de l’arbre, mais préfère prendre une photo (pas très bonne de surcroît) sur Wikipedia plutôt d’aller prendre une photo à Morondava. On veut faire venir des touristes de très loin (plusieurs milliers de kilomètres), mais nous, nous ne sommes pas capables de faire 300 kilomètres pour faire valoir nos propres atouts.
La photo originale du logo du Ministère du Tourisme de Madagascar :
Adansonia Grandidieri Baobab Morondava Madagascar.jpg
Photo prise avec un Canon, en novembre 2007, mise en ligne sur Wikipedia par JialiangGao en 2008.
Sous droits d’utilisation Creative Commons : tout le monde peut la copier, l’utiliser, la modifier, mais sous réserve de : “Vous devez citer le nom de la manière indiquée par l’auteur ou le concédant (mais pas d’une manière qui suggérerait qu’ils vous ou votre utilisation de l’œuvre approuvez ) »… et surtout « Si vous modifiez, transformez ou adaptez cette création, vous devez distribuer l’œuvre résultante sous la même licence ou similaire à celui-ci » (en italique les règles d’utilisation inscrites sur Wikipedia) Autrement dit, le logo du Ministère serait également en Creative Commons.
*Vous pouvez trouver facilement cette photo sur plusieurs sites, dont Pinterest, Yahoo search… Elle a donc peut-être été prise sur d’autres médias que directement sur Wikipedia, mais les droits d’utilisation sont les mêmes, tous ces sites l’ayant copié depuis Wikipedia.
Les justifications du logos :
Ci dessous copies d’écran de la page explicative du logo sur le site du ministère du Tourisme de Madagascar, faite le 12 juin 2016. Cliquez dessus pour agrandir.
Ci dessous copie d’écran de la page Facebook du Ministère du Tourisme de Madagascar, faite le 12 juin 2016. Cliquez dessus pour agrandir.
Ci-dessous une copie des explications fournies par le ministère sous le titre “historique” voir sur : http://www.tourisme.gov.mg/logo-du-ministere-du-tourisme/
“Le Ministère du Tourisme a le plaisir de vous présenter et de vous expliquer son nouveau LOGO qui replacera Madagascar dans le monde du Tourisme :
- La carte représente la terre : 3ème plus Grande Île au monde et le sol sur lequel vivent les 24 Millions de Malgaches. Sa couleur saumon représente le TSINGY unique au monde ainsi que la fabuleuse richesse de son sous-sol.
- Le lémurien symbolise la faune avec plus de 80% d’endémicité faisant ainsi de Madagascar un pays exceptionnel dans le monde.
- Le Baobab montre la richesse de la flore endémique et la potentialité de Madagascar pour fournir au monde entier des produits agricoles biologiques, aux vertus curatives, bénéfiques pour la santé et surtout d’un goût extraordinaire.
Admirer et être en contact avec la faune et la flore malgache est un moment de bonheur »
On reste bouche bée. « La carte représente la terre ». ?? « 3ème plus Grande Île au monde » ! On peut croire à une faute de frappe, mais sur , ils ont publié la même bêtise. Pour rappel, Madagascar est la 5e plus grande île du monde après l’Australie, le Groenland, la Nouvelle-Guinée et Bornéo.
- « … sa couleur saumon représente le Tsingy »… Bien sûr, il y a bien les Tsingy Rouges, près de Diego qui pourraient évoquer une couleur proche du saumon, mais quand on parle de Tsingy, on pense plus à celle du Bemaraha, classées au patrimoine mondial, de couleur grise, nous semble-t-il. Quant à l’aspect « Tsingy unique au monde ainsi que la fabuleuse richesse de son sous-sol. », nous allons mettre cela sur une faute de français, car les Tsingy ne sont pas reconnus à ce jour pour la richesse de leur sous-sol.
- Le lémurien pour symbole de l’endémicité, c’est peut être bien pensé, mais un lémurien évoque un lémurien… pas la biodiversité et son aspect endémique. Et quand l’endémicité frôle les 90%, autant ne pas se privée de le dire.
- Idem pour le baobab pour symbole de la flore. C’est un peu limité. Quant à « la potentialité de Madagascar pour fournir au monde entier des produits agricoles biologiques, aux vertus curatives, bénéfiques pour la santé et surtout d’un goût extraordinaire. »… on survend un potentiel qui est bien loin de la réalité : l’agriculture n’est pas biologique ; les produits agricoles ne produisent pas que des plantes à vertus curatives ; et le « goût extraordinaire » est une sensation très subjective. On ne peut pas dire qu’un poulet de chair élevé au provende est un goût extraordinaire, au sens de particulièrement bon, ou encore poins « biologique ».
Bref, un texte pas très au point pour justifier un logo bof bof.
Encore un site WordPress gratuit !
Cela devient une habitude dans les hautes sphères malgaches. Nous avions déjà signalé celui de la présidence. Faut croire que c’est la même agence, ou cellule de communication, sans trop de scrupule.
Il s’agit du thème EasyMag, proposer par Daisy Themes, téléchargeable gratuitement et normalement plus adapté pour faire un magasine d’actualité en ligne.
Le choix de WordPress est plutôt bon. Cependant, quand on est une entreprise ou un ministère, si on a pas les moyens de mettre 50 Euros environ dans un thème premium, les résultats risquent d’en pâtir. Pas de quoi inspirer confiance. D’autant plus que les performances et fonctionnalités seront bien moindres, donc moins efficaces.
Évidemment, le contenu du site est plus destiné à valoriser le travail du ministre que de valoriser Madagascar pour mieux donner envie de venir. Et, une fois de plus, le prochain ministre fera un nouveau site pour montrer qu’il existe. Même s’il sera probablement à l’image de son action : sans trop d’envergure malheureusement.
Le tourisme à Madagascar en danger d’extinction ?
Le propos n’est pas de lancer un coup de gueule facile en descendant un logo fait par quelqu’un dont ce n’est pas le métier, mais, qui y aura certainement mis beaucoup de bonne volonté. Ni de pointer une fois de plus un site internet un peu sommaire.
Il serait tant que le professionnalisme anime l’esprit des responsables de l’État malgache. Le ministère du Tourisme est un ministère stratégique, car il donne le ton de l’image du pays dans le monde. En cela, il devrait être un exemple.
La communication et l’image de marque ne sont pas à prendre à la légère pour un pays qui souffre d’une mauvaise image malgré un potentiel intéressant. Rappelons que les chiffres sont alarmants avec péniblement 200 000 touristes par an, dans un secteur qui peut apporter beaucoup de devises et créer de nombreux emplois qualifiés et passionnants. Quoi de mieux en effet que d’avoir pour travail de faire partager les qualités de Madagascar.
Le secteur du tourisme souffre et les gouvernements successifs ne font rien d’efficace pour arranger les choses durablement. Bien évidemment, il est facile de crier contre un manque d’infrastructures, des services hôteliers un peu aléatoires ou des chambres parfois trop chères, par rapport aux prix qu’on l’on peut constater dans le monde pour des prestations équivalentes. Mais nous pourrions aussi commencer par arranger des choses simples, comme cette interdiction incompréhensible de prendre des photos sur le tarmac des aéroports, ou l’interdiction de survoler des villes. Il y a quoi à Madagascar ? Des armes secrètes que personne ne connaîtrait au monde ??? New York, la ville du 11 septembre, peut être survolée par n’importe quelle petite compagnie qui vend un vol au-dessus de la ville au touriste. Ici, il est impossible de survoler Tana ou Majunga par exemple !
Et des petites choses simples, comme cela, que l’on pourrait mettre en œuvre pour que les touristes passent un bon séjour, il y en a. Cela semble être bien loin des préoccupations de nos hauts fonctionnaires qui préfèrent se faire financer des voyages à l’étranger, sous prétexte de participer à des salons internationaux.
Alors ? Ce nouveau logo du Ministère du Tourisme ? À l’image du pays ? Un territoire quasi désertique où l’on veut faire croire à quelques baobabs ou lémuriens en guise de selfies pour trophée photographique ? Madagascar est et vaut bien plus que cela.