Comme on dit dans le jargon, »c’est tombé hier sur nos téléscripeurs » (ndrl) : la Fédération Internationale des Droits de l’Homme ou FIDH dresse un compte rendu inquisiteur et alarmiste sur le comportement des forces armées malgaches dans un communiqué titré « Madagascar : Les forces armées brutalisent et exécutent sommairement la population civile ». Rien de moins. On ne peut être plus clair. Et un étrange silence en local sur cette info pourtant de taille (?!).
À l’origine de la publication, la Confédération Nationale des Plates-formes des Droits de l’Homme (CNPFDH-Madagascar) et le collectif GTZ qui ont rapporté les faits. En ligne de mire : le comportement de la gendarmerie dans la répression violente des étudiants qui a conduit à l’arrestation musclée de Jean-Pierre Randrianamboarina. Et l’opération Fahalemana menée par l’armée malgache dans le sud, au nom de la lutte contre les dahalos… les mêmes déjà « amnistiés » une fois.
Rappelons que la FIDH est une ONG indépendante fondée en 1922. Elle regroupe 178 organisation de défense des droits de l’Homme dans le monde. Concernant Madagascar, les deux (seuls) derniers communiqués équivalent qu’elle a diffuse dans ces réseaux et vers la presse sont :
- le 11 février 2002, sous le titre « Le verdict des urnes doit être respecté », elle appelé au respect du résultat de l’élection créditant Marc Ravalomanana de 50,49% contre Didier Ratsiraka.
- le 10 février 2009, sous le titre « La FIDH appelle à la mise en place d’une commission internationale d’enquête indépendante sur la répression sanglante des manifestations » dénonçant « 28 morts et plus de 200 blessés » dans une réaction disproportionnée de la garde présidentielle, lors du massacre d’Ambohitsorohitra.
Autant dire que, quand la FIDH dénonce, ce n’est pas à tort ou à travers. Dans les deux cas, l’Histoire de Madagascar a basculé. Un signe des temps ? Peut-être. En tout cas, une preuve de plus que le gouvernement (dont le premier ministre est un général) a bien du mal à contrôler ses ouailles. Dans l’Art de la Guerre, Sun Zi écrivait qu’il faut agir en fonction des ressouces et non des objectifs… à suivre.
Ci-dessous une copie de la déclaration de la FIDH.
Madagascar : Les forces armées brutalisent et exécutent sommairement la population civile
La FIDH, la Confédération Nationale des Plates-formes des Droits de l’Homme (CNPFDH-Madagascar) et le collectif GTZ (collectif d’associations de la région d’Ihorombe dans le sud de Madagascar), s’inquiètent d’allégations d’exécutions sommaires de civils dans le sud du pays et de la répression violente de manifestations dans la capitale ces dernières semaines et appellent les autorités en place à poursuivre les auteurs de ces crimes et de ces violences.
Le 31 août 2015, des éléments de la gendarmerie malgache ont réprimé dans la violence une manifestation des étudiants de l’université d’Ankatso à Antananarivo, capitale de l’île de Madagascar. Un étudiant, Jean-Pierre Randrianamboarina, a été passé à tabac par une dizaine de gendarmes, traîné jusque dans un pick-up et conduit à la gendarmerie alors qu’il n’était pas armé. Au cours des dernières semaines, des éléments des forces armées de l’opération « Fahalemana 2015 » se seraient livrés à des exactions, y compris des exécutions sommaires de villageois, dans le sud du pays. La FIDH condamne fermement ces graves violations des droits humains, exhorte les autorités malgaches à enquêter, poursuivre et punir les présumés responsables, et à faire respecter strictement le droit international des droits humains et le Code de conduite des forces armées, qui oblige ces dernières à « respecter les obligations, les règles et principes des Droits de l’Homme ».
« Au cours des dernières semaines, des éléments de la gendarmerie ont fait preuve d’un usage disproportionné de la force tandis que l’armée se serait rendue responsable de crimes graves à l’encontre de la population civile. Le tabassage d’un étudiant à Antananarivo et les allégations d’exécutions sommaires au sud du pays, témoignent des graves défaillances dans la gestion et des dérives des forces de sécurité malgaches. Les autorités du pays doivent faire preuve d’une grande fermeté à l’égard des présumés responsables de ces actes et diligenter au plus vite des enquêtes crédibles et transparentes pour que de telles violations des droits humains ne se reproduisent pas et que l’impunité des forces de l’ordre ne se pérennise pas », a déclaré Dismas Kitenge, Vice-président de la FIDH.
A l’occasion d’une manifestation des étudiants de l’université d’Ankatso – dont les professeurs sont en grève depuis plus de deux mois – et qui réclamaient la reprise des cours, un face à face a eu lieu entre les manifestants et les forces de l’ordre, le 31 août 2015. Ces dernières ont cherché à disperser les manifestants en procédant à des tirs de gaz lacrymogène, en utilisant des matraques et des bâtons électriques et en poursuivant les étudiants sur le campus de l’université, en violation de la franchise universitaire qui interdit aux forces de l’ordre de pénétrer dans l’établissement sans l’aval des autorités universitaires. Elles ont fait preuve d’un usage excessif de la force en rouant de coups de pieds et de matraque un des meneurs de la manifestation, Jean-Pierre Randrianamboarina. D’après les informations recueillies, l’étudiant a plusieurs fractures et traumatismes mais ses jours ne sont pas en danger. Il a comparu le 2 septembre dernier devant le Tribunal d’Anosy pour un certain nombre de chefs d’accusation dont l’incitation à des troubles à l’ordre public et au renversement du gouvernement. Il a finalement été condamné à six mois de prison avec sursis.
Il semble que certains manifestants aient effectivement cherché à perturber l’ordre public en tentant de mettre le feu à un taxi phone et en jetant des pierres sur des éléments de la gendarmerie. Néanmoins, rien ne justifie un usage aussi disproportionné de la force, d’autant que l’article 8 de la Constitution malgache de 2010 précise que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » et que Madagascar a ratifié la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Pacte International sur les Droits Civils et Politiques et la Charte africaine des droits de l’homme, qui interdisent ces pratiques. Les autorités malgaches, en la personne du président, du Ministre d’État et du Secrétaire d’État à la gendarmerie, ont condamné publiquement ces violences. Elles doivent maintenant passer des paroles aux actes et faire respecter la liberté d’expression et de manifestation, faire appliquer les lois nationales, se conformer à leurs obligations internationales et appeler les forces de l’ordre à la plus grande retenue. Elles doivent également condamner les déclarations de certains hauts responsables des autorités malgaches, tels que le président de la Commission Sécurité de l’Assemblée Nationale et du Général en charge de la formation des forces de l’ordre, qui ont respectivement justifié les actes des gendarmes et indiqué que ces pratiques étaient conformes au Manuel de formation des forces de sécurité.
Par ailleurs, la presse nationale et les organisations de la société civile malgache dénoncent depuis la fin du mois d’août et le début du mois de septembre 2015 une escalade de la violence et la multiplication de cas d’exactions et d’exécutions sommaires perpétrées par les forces armées déployés dans le cadre de l’opération « Fahalemana 2015 » au sud de la grande île et par les Détachements Armés de Sécurité (DAS) qui contribuent à l’opération. Cette vaste opération militaire a été lancée à la mi-août 2015 pour enrayer le phénomène de vol de bovidés par les « dahalos » (« voleurs de zébus » en malgache). Les dahalos mènent des attaques meurtrières, terrorisent la population villageoise et se livrent à un important trafic de bovidés. De nombreux affrontements ont eu lieu entre les dahalos et les forces armées ces dernières semaines. Huit militaires ont trouvé la mort dans ces affrontements le 26 août 2015, dans une embuscade à Ankazoabo-Sud. Depuis, les assassinats de civils semblent se multiplier et les forces armées sont soupçonnées de mener des attaques indiscriminées contre des groupes qu’ils supposent être des dahalos, notamment dans les régions de la Betsiboka, de l’Androy et du Bongolava. De nombreux villageois se seraient réfugiés dans les bois proches de leurs villages.
« D’après nos informations, de plus en plus d’exécutions sommaires de civils seraient perpétrées par les forces armées malgaches dans le cadre de l’opération Fahalemana. Ces allégations sont d’une extrême gravité et devraient pousser les principaux partenaires de Madagascar à tirer la sonnette d’alarme. Si les présumés responsables ne sont pas traduits en justice, une Commission internationale d’enquête devrait également être mise en place pour faire la lumière sur ces actes, et le cas échéant, l’Union africaine, l’Union Européenne, l’Organisation Internationale de la Francophonie, le Fonds Monétaire International, la Banque Mondiale, le Système des Nations Unies et les autres partenaires de Madagascar devront prendre des mesures pour faire respecter les libertés et les droits fondamentaux du peuple malgache. », a déclaré Andrianirainy Rasamoely, coordinateur de la CNPFDH-Madagascar.
L’Union Européenne notamment, principal partenaire de Madagascar, devrait faire pression sur les autorités malgaches – qui sont tenues par l’article 9 de l’accord de Cotonou de respecter les droits de l’homme et l’État de droit sur l’ensemble du territoire – pour qu’elles honorent leurs engagements. En effet, alors que les forces armées sont censées mettre un terme aux exactions des dahalos, il semble que certains de ses éléments se livrent aux mêmes pratiques. D’après des sources locales, 14 individus soupçonnés de fournir des armes à des voleurs de bœufs auraient été sommairement exécutés par des militaires dans la nuit du dimanche 30 au lundi 31 août 2015, dans la commune rurale d’Ankiliabo, au sud-ouest de Madagascar. Cet incident aurait plongé la zone dans une profonde tension au point que des affrontements auraient éclaté entre des militaires et des gendarmes, lesquels se seraient élevés contre ces exécutions. 15 militaires de l’opération Fahalemana auraient également fusillé de façon extra-judiciaire, le 2 septembre dernier, trois villageois, Razafimahatratra, Ranantsa et Valy, à la suite d’un contrôle de fiches individuelles de bovidés et d’autorisations de port d’arme dans le village de Tsarazaza Maevatanana, dans la commune rurale de Mahatsinjo. Les militaires auraient emporté 70 zébus avant que la compagnie territoriale de la gendarmerie nationale n’intervienne.
Sur la base d’informations récoltées par Mr. Razafindremakam, président de la GTZ, la CNPFDH a récemment déclaré que deux voleurs de bétail ont été arrêtés le 3 septembre 2015 par les forces de l’ordre d’Ihosy, dans le village d’Andiolava sur la route nationale 7. Les forces de l’ordre les auraient emmenés au camp militaire d’Ihosy puis à l’aérodrome d’Ihosy où ils auraient été exécutés par balles puis brûlés à l’aide de pneus enflammés. Cet événement a été relaté par une station de radio locale « Avec » et des habitants de la zone ont assisté à la scène. Les organisations de la société civile disent avoir chercher à interpeller les autorités administratives et judiciaires ainsi que les responsables de la sécurité, restés « étrangement injoignables », selon leurs déclarations. Les autorités militaires ont quant à elles déclaré par la suite que deux civils avaient en effet été tués dans des circonstances troubles. Des émissaires auraient été envoyés sur le terrain pour attester de la véracité de ces faits.
L’opération Fahalemana compte environ un millier d’hommes et constitue la plus vaste opération militaire déployée sur le territoire depuis plus de dix ans. Elle devrait prendre fin en décembre 2015. Les hauts responsables des forces armées et du gouvernement devraient agir au plus vite pour que cette opération ne déstabilise davantage les zones qu’elle est censée sécuriser.