CAYLAH / Madagascar / from snegff on Vimeo.
– Caylah, derrière le clip « Madagascar », qui est vraiment Caylah ?
Caylah, c’est un nom de scène, un personnage, mais c’est également moi. Ce nom vient d’un mélange des lettres de mes deux prénoms : Katia et Landy.
Caylah, c’est moi. Un petit bout de femme, si on peut dire, de vingt-et-un ans. En troisième année de communication des entreprises par le CNTMAD. Et d’ailleurs, je viens d’avoir les résultats : j’ai eu ma troisième année ! :).
Je viens de Tana. Toujours vécu à Mahamasina. J’ai fait mon école primaire à La Providence Amparibe. Au secondaire, dans un collège de fille. Au Lycée, à Saint-François Xavier à Antanimena.
Si je devais envisager une carrière professionnelle, en dehors du Slam, ce serait probablement le journalisme, la rédaction. Autour de la culture.
J’ai découvert le slam il y a six ans par un spectacle de Slam qui s’appelait « Télé Réalité » à l’IFM, ex CCAC. J’ai regardé cela. Ça m’a mis une claque. « Slam », ça dire claque. J’écrivais depuis pas mal de temps. Je ne savais pas que cela avait un nom. On me dit que c’est du Slam. Les slammers, très sympathiques, sont venus m’aborder parce que j’avais un look assez particulier. Je leur dis que je n’étais pas artiste, que j’étais encore au lycée, que je ne suis rien du tout. Ils m’ont répondus : « Ça se voit que tu écris, tu a une tête d’artiste, tu a ça en toi ; ça se voit… Nous, on fait des scènes ouvertes tous les deux mois au CCAC. Tu devrais venir. »
Je suis donc venu régulièrement. Juste histoire de regarder. Puis, un jour, un gars a eu le déclic de vouloir me faire venir sur scène. Il a appelé Katia sur scène. Je me disais « je vais faire quoi ? ». Il m’a répondu « je sais que tu as des textes, que tu écris ». Cette première fois a rencontré l’enthousiasme. J’ai aimé la scène, j’y ai pris goût.
– À l’origine du clip, deux réalisateurs : Denis Sneg et Philippe Chevalier. Qui sont-ils ?
C’est deux gars, qui ont déboulé à Tana par l’intermédiaire d’une vidéo à propos des skateboarders de Tana. Ils sont eu l’idée de faire un film documentaire sur Mada Underground, sur tous les arts urbains qui ne sont pas encore reconnus comme le slam, les sports de glisse, le graffiti… ils ont suivi un rapper, un chanteur de reggae…
– Comment s’est faite la rencontre avec ces réalisateurs ?
Je les ai rencontrés en faisant un spectacle à la CRAM. Je passais un chanteur de reggae dans le cadre du vernissage d’une expo. Il suivait ce chanteur. Ils m’ont vu et ont filmé mon set de Slam. Ils sont venus ensuite m’aborder pour m’expliquer leur projet. Au début, j’ai trouvé cela « un peu chelou ». Je me suis méfié un peu.
Coïncidence : les gaz résidaient à Mahamasina. Nous étions donc dans le même bus au retour. On a sympathisé. Ils m’ont expliqué leur projet.
– Le Tournage du clip s’est fait à Mahamisina, durant le marché, sous la pluie… qui a eu l’idée de cette « presque » longue séquence de marche sous la pluie ? Pourquoi ?
Ce n’était pas le marché du jeudi. L’idée est venue d’eux. La pluie n’était pas prévue. Il s’agissait de faire un truc simple et sympa ; marcher d’un point à un autre. Le temps se couvrait. Je leur est dit que cela ne va pas être possible avec la pluie. Ils m’ont répondu qu’au contraire, ça allait être sympa. On avait même pensé le faire dans le marché couvert. Mais finalement ils ont préféré faire cela en pleine rue. J’ai dit « sans Kway, sans parapluie ? » Denis me répond « j’ai oublié de te dire de ramener des vêtements de rechange ».
Pour protéger la caméra, ils avaient juste un parapluie. Les gas en Kway et tongues.
Il y a eu certaines réactions durant le tournage. Des gens qui regardaient. Mais, un secret que je tiens à divulguer : depuis que la vidéo est en ligne, je n’ai toujours pas vu cette vidéo (ndlr : Parole dite le jour de l’interview, le samedi 9 janvier 2016), jusqu’à maintenant. J’ai vu les rushs quand ils étaient à Mada au moins de novembre. Donc, je ne sais pas s’il y avait des gens qui regardaient ou pas. Mais c’est quand même mon quartier. Donc, les marchands, les passants… beaucoup me connaissaient. Ils étaient là. Ils se posaient des questions. Parfois, on ne voyait pas les gaz me filmer, mais je gueulais dans la rue comme une folle.
À l’aller on a fait ce texte-là. Au retour, j’ai fait un pétage de plomb. J’ai fait un texte sur la schizophrénie. J’agressais tout le monde. Les gens qui passaient, les taxis, les taxis brousses… je gueulais… je gueulais quoi.
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– Beaucoup de message dans les paroles de ce morceau de slam : la colonisation, la malgachisation, la mondialisation, la corruption, dénonciation des nouvelles mentalités… quel est, pour vous, le message principal ? Pourquoi ce texte ?
Ce texte, je l’ai écrit il y a cinq ans. Je l’ai fait, et refait… et refait. Le message principal, c’est juste de faire réagir les gens et d’essayer de changer leur mentalité. C’est un réveil. « Réveilez-vous, il y a quelque chose à faire ». Faites quelque chose. Ne laissez pas la politique, la mondialisation, les nouvelles technologies et je ne sais pas quoi, détruire notre patrimoine culturel.
– Vous semblez défendre la malgachisation par opposition à la mondialisation. Vous avez 21 ans, donc jeune et en principe prête à avaler la vie à pleine dent, ne craignez-vous pas qu’il y est un risque d’enfermement, de replis sur soi – des valeurs généralement défendues par les nationalistes – aux risques de passer à côté de l’ouverture vers le monde et des opportunités de faire rayonner le pays ?
Déjà moi, je suis engagé… engagé… euuhhh J’ai pas mal de texte engagé, mais je ne suis pas très politique. Je n’aime pas du tout la politique et ça ne m’intéresse même pas. Mais cela m’intéresse uniquement parce qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Je ne sais pas si on comprend ce que je veux dire. La politique n’est pas un vrai kiff.
– Les paroles sont très franches et les Malgaches en prennent clairement pour leur grade également. Vous dénoncez le chacun pour soi, les luttes fratricides, le règne de l’argent … pour vous d’où provient cette mentalité ? et surtout, quelles solutions pourrions-nous mettre en œuvre pour que le pays change et que nous retrouvions de la sérénité, de la fierté constructive et un avenir ?
D’où vient cette mentalité ? Tout simplement de la pauvreté. Parce qu’on est pauvre partout en fait. Pauvreté des mentalités. Pauvreté, la famine… on est pauvre quoi. C’est triste. Mais culturellement, intellectuellement … je trouve que les Malgaches sont assez enfermés dans leur petit monde. C’est pour cela que je parle par exemple de corruption intérieure. Si on leur donne 1000 Ariary pour se taire… ils vont prendre les 1000 Ariary et se taire. Ils ne vont pas chercher plus loin. Ils se contentent de peu. C’est là la pauvreté des mentalités. Et quand je parle de pauvreté intellectuelle, c’est plus souligné que l’on a un bon potentiel, mais qu’on ne l’exploite pas. On n’utilise pas notre intelligence à bon escient. On utilise cette intelligence-là pour nos propres intérêts personnels, pour se remplir les poches, pour nourrir les gens de faux espoirs. Les intellectuels sont ceux qui sont en costard. Ce n’est pas juste eux les intellectuels, mais c’est ce que je dénonce dans le texte.
Pour changer cela, il faut que tout un chacun y mette du sien. Ça commence par des petits gestes, de ne pas jeter un mégot de cigarette par terre, de ne pas cracher par terre, de ne pas faire pipi n’importe où… Il faut aussi le courage de ne pas se sentir inférieur. De se dire que tout ce que font les étrangers, c’est bien, mais on peut le faire aussi.
Ce qui me dérange aussi, c’est que les Malgaches pensent que l’on devrait privilégier les étrangers justes à cause de leur couleur… parce qu’ils pensent qu’ils sont plus riches que nous… on devrait les servir, les valoriser… mais non. On est des êtres humains. On est tous pareils.
– Ce cri de rage n’est-il pas au fond le reflet d’une souffrance profonde et personnelle en cherchant autour de vous, dans votre environnement, les raisons d’une sensation de ne pas pouvoir vous exprimer à la hauteur de ce que vous souhaiteriez ? De produire beaucoup d’effort pour peu de résultats ? L’expression d’un désespoir ?
C’est effectivement très très personnel. Carrément. Il me plaît de dire que je suis malade. Une écorchée vive. Je suis très très sensible à tout ce qui peut se passer. Je suis aussi engagé dans des causes perdues.
J’ai inventé et créé la slamothérapie. j’ai créé ce terme. C’est une thérapie par l’intermédiaire du slam. Je travaille dans une association où je donne des cours de slam. Cette association s’occupe de maman précoce. J’essaie de leur faire exprimer leur rage, leurs sentiments à travers l’écriture. De faire ces mots, un truc positif. Mais c’est aussi une thérapie pour moi-même. Je trouve que, quand on s’occupe d’autres personnes, c’est quand à aussi un mal-être intérieur.
il est sûr que c’est par rapport à mon histoire. Déjà à l’école, j’étais strange. Un peu mise à l’écart. La coupe de cheveux aussi m’a classé dans le clan des originaux : à moitié rasée d’un côté, et long de l’autre. On pense souvent que je le fais exprès pour me faire remarquer.
– Femme,… les femmes et la femme malgache en particulier semblent avoir une grande importance dans vos préoccupations. Lutte contre la violence faîtes aux femmes à Madagascar, place de la femme dans la société actuelle… pourquoi ? Quel message souhaiteriez-vous porter en faveur des femmes ?
Un peu féministe sur les bords. Dans le texte, je dis que la femme n’est pas un objet. En malgache, on dit que la femme est un objet mou « fanaka malemy ». Au départ, pour dire que la femme est douce, sensible. Mais dans le temps, l’expression a été déformée dans un sens moins noble. Cela veut dire que la femme ne pourrait pas porter d’objet lourd, que la femme ne peut pas faire ce que les hommes fond … choses qui je trouve complètement dépassées.
C’est un truc qui me tient à cœur, parce que ma mère, pour moi, c’est La Femme. Femme courage. Celle qui m’inspire. Celle qui porte le monde pour moi. Je suis son monde, avec ma sœur, mon père, notre famille. Elle a beaucoup souffert. C’est très très personnel en fait.
– Sur votre compte Facebook, de nombreuses illustrations revendiquent « Love, sex and drug » ? Un vague côté « hippie »… Quel regard portez-vous sur la société malgache contemporaine face à la sexualité ? À la fois obsession ordinaire de tous, mais toujours tabou ? La prostitution comme seule opportunité de revanche de la femme pour gagner sa place face à l’homme ? Et de manière quasi institutionnalisée dans notre société : « l’homme va faire de belles études… la femme n’a qu’a se trouver un mari » ?
« Love, sex and drug », c’est ce que j’aime bien dans le mouvement hippie. Que l’on peut retrouver dans le rock, dans le reggae. Tous ces trucs-là sont reliés. Ce sont mes univers. Le message véhiculé, c’est juste liberté.
On ne donne quasiment aucune chance à la femme malgache d’être libre. J’ai écrit un texte sur cela. Cela vient des parents. C’est un peu triste, mais cela fait partie de la culture malgache. Depuis toute petite, la femme, c’est la fille. Elle fait la vaisselle, le ménage pendant que le garçon va à l’école. Sans doute parce que c’est comme cela que les ancêtres fonctionnaient. Mais ce temps est révolu. Ce n’est plus acceptable. Il y avait même la tradition qui voulait que le mari mange avant, après c’était la femme et les enfants.
Il faudrait sortir de cela en ce moment. C’est pour cela que je pousse dans mes textes. Les femmes ne sont pas que des objets. Elles ne sont pas que des bonnes à tout faire. Des femmes de ménage, des bonnes à marier.
– Un dernier mot pour vos followers ?
Tout d’abord, un grand merci à tout ceux qui ont partagé la vidéo. Tous ceux qui m’ont envoyé des messages d’encouragement et parfois même d’amour. Peut-être pour terminer ce serait ça : un grand merci à tout le monde. Sensible comme je suis, petite nature comme je suis limite, quand je vois ce qui se passe, j’ai envie de pleurer. Je n’aurais jamais cru qu’un jour cela m’arriverait. Avant j’étais la timbrée de service, maintenant tout le monde veut être mon ami. Au début du buzz, j’ai eu jusqu’à une demande d’ami sur Facebook toutes les minutes. À l’origine, ce compte était un compte perso.
– Un album ?
On a créé un groupe Caylah and Men. Avec un bassiste, Miora Rabarisoa, un soliste, Éric, Nantenaina, trompettiste. Ce que l’on fait, c’est du « spoken word ». Donc du slam avec un fond musical. On prépare un set d’une heure. On voulait déjà faire un spectacle en décembre. Mais on voulait faire un truc qui claque pour commencer à Tana. Donc faut bosser, on répète.